La présence des lions en Grèce ne s’est pas toujours limitée à des représentations sculpturales ou à des fragments de mythologie. Le lion européen ou panthera leo europaea aurait foulé le sol de la Grèce durant l’Antiquité. Pourtant, ce n’est pas avec la découverte d’ossements que l’on peut l’affirmer, mais par l’étude de l’histoire Antique.

Cela semble étonnant pour un Grec, ou toute autre personne, aujourd’hui d’imaginer la région continentale peuplée de ces prédateurs. Léo Grasset, vidéaste et professeur de biologie réalisant des émissions de vulgarisation scientifique (« Dirty Biology »), nous apprend que cet oubli générationnel s’appelle l’ « amnésie écologique ».

L’AMNESIE ECOLOGIQUE

L’état actuel d’un écosystème peut être considéré comme « bon » en oubliant la richesse passée de celui-ci. Même si un retour du lion grec semble peu souhaitable, nous avons du mal à reconstituer l’histoire écologique de son époque pour savoir à quel point elle a changé : l’étude de l’Histoire peut alors aider la biologie. Il est néanmoins difficile de prouver que ce lion a foulé les terres grecques comme l’analyse l’un des spécialistes  du phénomène d’amnésie écologique, Daniel Pauly, lors d’une conférence en 2010. « Nous avons une situation où les gens ne connaissent pas le passé même si nous vivons dans des sociétés alphabétisées, parce qu’ils [les scientifiques] ne font pas confiance aux sources du passé ». Des sources, en effet, qui ne sont guère considérées comme valables en termes scientifiques et en ce qui concerne la panthera leo europaea elles sont constituées en priorité de textes antiques et de représentations iconographiques.

EMPREINTES HISTORIQUES

Les traces écrites concordent avec les connaissances sur les lions d’aujourd’hui, en voici quelques exemples tirés du travail de Léo Grasset en collaboration avec C’est une autre histoire – autre groupe de vidéastes. Homère précise à plusieurs reprises que les lions, dont la figure mythologique du Lion de Némée, vivent dans la montagne. Cette observation semble attester de la présence, et de la raréfaction, du lion à cette époque. Le même phénomène de déplacement des lions dans les montagnes s’est en effet produit lors de l’extinction plus récente du lion de l’atlas au Maroc. Le lion quitte l’ensemble du territoire pour aller se réfugier dans des « zones refuges » montagneuses. Au-delà des références mythologiques, l’historien Hérodote situe le lion grec entre la rivière Achelous et la rivière Nestos, une région en partie montagneuse, confirmant ainsi sa présence dans les zones refuges. De son côté, Aristote consacre un chapitre de son « Histoire des animaux » au lion. En détaillant son apparence voir même son comportement lors de situations particulières, son témoignage atteste de sa présence en Grèce antique. Il écrit  « C’est surtout quand les lions vieillissent qu’ils se rapprochent des villes et qu’ils attaquent les personnes, parce que la vieillesse leur ôte la force de chasser, et qu’alors ils souffrent beaucoup des dents. » Le lion aurait donc été présent en Grèce antique jusqu’au moins l’époque d’Aristote vers 350 ans av. JC. Quant à la disparition de l’espèce, aucune date n’est certaine.

LION DEVENU SYMBOLE

Repris comme un symbole de la force dans la Grèce antique, la représentation du lion sert de « gardien ». Ils gardent notamment des tombes et de temples, comme au cimetière antique Kérameikos d’Athènes ou encore à la porte des lionnes de Mycènes. Il est bien sûr omniprésent dans les textes, pour glorifier les guerriers dans la mythologie comme Ajax ou Ménélas dans l’Iliade. La figure mythologique du Lion de Némée est la plus connue des références de la Grèce antique à cette espèce aujourd’hui disparue. Ce symbole de puissance et de courage est repris pendant longtemps sur le territoire car en 1600, les vénitiens qui occupent alors la Crète, érigent la fontaine sur la place aujourd’hui surnommée « la place des lions » à Héraklion. Œuvre fameuse inspirée de la mythologie grecque, représentée pour symboliser le pouvoir vénitien mais sans lien avec une présence de lion sur l’île méditerranéenne.

Le lion reste présent en Grèce trônant fièrement sur des piédestaux, sans que personne ne puisse imaginer les régions montagneuses et les abords des villes fréquentés par le puissant prédateur. D’autres espèces aujourd’hui considérées comme « exotiques » ont résidé en Grèce. Nous en avons parfois les traces archéologiques. Sur l’île de Tilos, des ossements d’éléphants nains ont été retrouvés dans la grotte de Charkadio durant les années 1970. Plus anciens que les lions, ils ont disparu il y a 4000 ans. Difficile d’imaginer ces pachydermes avoisinant le mètre 80 sur cette petite île du Dodécanèse. Une amnésie écologique qui ne touche malheureusement pas que les animaux disparus, mais toute la faune et la flore qui a été dégradée sur des siècles et ne ressemble en rien à la nature verdoyante des temps Antiques.

 

Léa Rollin

 

Pour aller plus loin :

Site de Léo Grasset et ses vidéos, voir : « L’amnésie écologique DBY#25 »

Daniel Pauly, « The ocean’s shifting baseline », conference à Ted-EX at Mission Blue, Avril 2010

George Theodorou, Nikolaos  Symeonidis & Elizabeth Stathopoulou “Elephas tiliensis n. sp.  from Tilos  island (Dodecanese, Greece)” Hellenic Journal of Geosciences, vol. 42, 19-32, 2007

  

[Copyright photo: Dirty Biology]

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