Isis met de nouveau à l’ordre du jour le facteur religieux et son instrumentalisation à des fins politiques. Αprès les attaques récentes, GrèceHebdo* s’est adressé à Slimane Zeghidour, spécialiste des liens entre le politique et le religieux. Zeghidour est journaliste, actuellement rédacteur en chef et éditorialiste à TV5 Monde, la chaîne francophone internationale. Il suit depuis vingt-cinq ans, l’essor spectaculaire du facteur religieux dans les affaires du monde, de l’Amérique latine à la Russie en passant par l’Europe et le Proche-Orient. Conférencier et essayiste, il a publié notamment “La vie quotidienne à La Mecque“, traduit en grec par les éditions Papadimas.

 

Isis propose une lecture singulière du Coran? En quoi consiste-t-elle cette lecture?

Isis est une organisation terroriste et pas une obédience religieuse. Elle a un discours idéologique et non théologique. Ce discours s’inspire de la doctrine wahhabite, un courant rigoriste né dans le désert d’Arabie, au milieu du XVIIIème siècle. Le wahhabisme qui est la doctrine d’Etat en Arabie saoudite mais également au Qatar a été très tôt déclaré “hérétique” par les oulémas de l’Empire ottoman et des pays arabes. Simplement, en s’érigeant, grâce à l’or noir, en puissance énergétique mondiale, Riyad a réussi peu à peu à réhabiliter, diffuser et promouvoir son idéologie étatique non seulement à travers les Etats arabes et musulmans mais également sur les cinq continents. Le wahhabisme professe une vision binaire de l’humanité, la séparant en deux camps, les “croyants” et les impies, les musulmans chiites, druzes et alaouites étant, eux, des hérétiques. Voilà le terreau sur lequel ont poussé les plantes vénéneuses du terrorisme, qui ont fini par s’attaquer au régime saoudien lui-même.

Quel est le secret de la réussite sociale de cette branche virulente de l’islam?

Il n’y a pas de secret spécifique, mais seulement la fascination du néant, le vertige apocalyptique qui fait que, se sentant investi d’une mission, le terroriste croit qu’en semant la mort il participe à la “purification” de l’univers… Cet état d’esprit, on le retrouve dans tous les mouvements terroristes, depuis les nihilistes russes jusqu’à la bande à Baader en passant par les anarchistes, les fascistes, les Tigres tamouls. Ce radicalisme a toujours existé, et il a pu être exploité et manipulé par des commanditaires qui obéissent, eux, à d’autres intérêts bien concrets. Le terroriste qui se fait exploser et tue des dizaines d’innocents croit qu’il agit pour la révolution, pour Dieu ou pour aller au paradis, ou pour tout cela à la fois, il n’empêche, son commanditaire, en l’occurrence, Daech ou l’Etat islamique, poursuit, lui des objectifs plus profanes. 

A quel point son impact touche la jeunesse musulmane des banlieues françaises?

Ce radicalisme “révolutionnaire” et anti-système ne séduit pas que des individus musulmans, il attire également des fils de familles catholiques, protestantes et même, oui, juives : les “convertis” représentent en France, un quart des djihadistes partis en Syrie.

Suite aux attaques terroristes et aux flux migratoires, un discours de fermeture et de rétablissement des frontières ne cesse de gagner du terrain. Comment peut-on concilier le souci sécuritaire avec le respect des droits fondamentaux?

C’est le défi que ce terrorisme nous pose. Il incombe à nos dirigeants de veiller à concilier le légitime souci de contrôler qui entre et qui sort de nos pays et en même temps de rester humain, en respect de nos lois et de nos valeurs. Agir autrement, ce serait donner une prime au terrorisme.

 

*Entretien accordé à Lazaros Kozaris et à Costas Mavroidis

 
 

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