Quelques jours avant la projection de son film ”Meltem” à Athènes et à Thessalonique dans le cadre du 20ème Festival du film Francophone de Grèce, le réalisateur et scénariste d’origine grecque, Basile Doganis, a accordé cette interview au Bureau de Presse et de Communication de l’Ambassade de Grèce en France. Doganis parle de son parcours en France, où il est arrivé à l’âge de 3 ans, de son choix de devenir cinéaste, mais aussi de l’expérience des tournages à l’île grecque de Lesbos, ainsi que des d’incitations à l’investissement pour la promotion de la production audiovisuelle en Grèce.

M. Doganis, pourriez-vous nous parler de votre parcours? De votre arrivée en France, de vos études, et de votre décision de vous impliquer dans le cinéma…

Né de parents grecs, je suis arrivé en France vers l’âge de 3 ans. J’ai fait toute ma scolarité en France, avant que mes études de philosophie ne me mènent au Japon, où j’ai vécu trois ans. Dans le cadre de mes études de philosophie, j’ai étudié le cinéma japonais (et écrit un livre paru en 2005, Le silence dans le cinéma d’Ozu) ainsi que les arts gestuels japonais pour ma Thèse (dont j’ai tiré un autre livre paru en 2012, Pensées du corps). En parallèle de mes études de philosophie en France et au Japon, j’ai fait mes premiers pas cinématographiques en tant qu’assistant réalisateur de Jean-Pierre Limosin pour son documentaire sur la mafia japonaise, Young Yakuza (2007), et en réalisant un court documentaire sur des rappeurs japonais (Kami Hito E – On The Edge (2009). Je me suis ensuite lancé dans la fiction, en écrivant et en réalisant deux courts-métrages, Le gardien de son frère (2012) et Journée d’appel (2014), tout en réalisant un autre documentaire sur les dix dernières années du danseur Kô Murobushi, Altérations / Kô Murobushi (2019), qui vient d’être présenté au Festival Cinéma du Réel. Meltem est mon premier long-métrage de fiction.

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Votre film MELTEM est un film de fiction. Aurait-il aussi des éléments autobiographiques ? Les thèmes de la deuxième patrie et de l’identité culturelle sont-ils des éléments constitutifs des caractères de vos héros ?

Meltem est un film qui me ressemble, déjà du fait de sa double identité franco-grecque : c’est une coproduction entre la France (Elzévir Films) et la Grèce (Blonde Audiovisual Productions). Mettre en scène une Franco-grecque, Elena, et ses amis banlieusards (Nassim, un Franco-Algérien, et Sekou, un Franco-Sénégalais) sur l’île de Lesbos me permettait de confronter des univers rarement associés : la Grèce de mes vacances d’été, la banlieue parisienne où j’ai grandi – et la crise économique et migratoire de 2015 qui m’a beaucoup marqué. Plutôt que de faire un film sur les migrants, ou sur l’opposition entre riches Occidentaux et migrants démunis du Moyen-Orient, j’ai préféré imaginer des personnages qui me ressemblent, avec des identités multiples et une histoire migratoire complexe, pour éviter à la fois l’exotisme et le misérabilisme. Dans Meltem, les trois protagonistes français ne s’opposent pas au migrant Syrien, Elyas, ils peuvent s’identifier à lui, et lui à eux – le Syrien vient même clairement d’un milieu social plus aisé et plus cultivé que les deux jeunes banlieusards, Nassim et Sekou. Les jeunes Français « issus de l’immigration » connaissent intimement la problématique de la double appartenance, des identités culturelles multiples voire conflictuelles, et Elena peut s’identifier à Elyas du fait de sa propre histoire familiale de descendante de réfugiés grecs d’Asie mineure. La question des identités et des appartenances multiples me travaille depuis toujours, du fait de ma propre histoire, mais la situation de Lesbos m’obligeait à me la poser sous un nouveau jour, qui reflétait toute la violence géopolitique de notre temps.

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Quelle a été votre expérience des tournages à Lesbos ? Comment évalueriez-vous le comportement des habitants de l’île concernant l’affaire des réfugiés et des migrants ?

Le tournage à Lesbos s’est très bien passé, grâce à une équipe exceptionnelle, constituée de quelques Français et d’une majorité de techniciens grecs. Pour autant, les conditions n’étaient pas simples, car pour des raisons budgétaires, nous n’avions que 28 jours de tournage, sans possibilité de jours ou d’heures supplémentaires. La pression était constante, et si la météo ou un imprévu nous empêchaient de tourner une scène, il fallait trouver immédiatement des solutions pour éviter la catastrophe. Mais l’île de Lesbos nous a beaucoup apporté. Le fait que nous restions sur l’île pour la totalité du tournage créait une ambiance très joyeuse de colonie de vacances – contrairement aux tournages où les membres de l’équipe rentrent chez eux chaque soir. Nous pouvions rester en permanence dans une dynamique créative, entre les techniciens et les comédiens : il suffisait d’improviser une scène dans une cour d’hôtel ou sur une plage, ou encore de mettre en place tel plan sophistiqué pour le lendemain autour d’une bière. Et Lesbos nous a gâtés, non seulement par sa beauté naturelle qui a imprégné tout le film, mais aussi par ses habitants extrêmement hospitaliers. Déjà pendant mes séjours de recherche sur l’île pour l’écriture du scénario, j’avais été frappé par les réactions exemplaires des habitants de Lesbos face à la terrible crise migratoire à laquelle ils étaient confrontés, en pleine crise économique où rien ne fonctionnait normalement. Une habitante, descendante de Grecs d’Asie mineure, m’avait dit avec émotion que beaucoup d’entre eux avaient l’impression de voir arriver sur les bateaux leurs propres ancêtres fuyant la Turquie en 1922, et qu’ils ne pouvaient que leur apporter leur aide. Je sais aussi que de nombreux habitants étaient lassés de voir Lesbos uniquement considérée comme « l’île aux migrants » – ce qui est parfaitement compréhensible. Le film n’est d’ailleurs pas une histoire sur les migrants ou la crise migratoire, mais plutôt un film d’apprentissage où de jeunes immigrés européens sont amenés à reconsidérer leur vie et leurs propres identités multiples une fois confrontés au périple d’un migrant de leur âge, le temps d’un été, sur fond de deuil, d’amour et d’amitié.

La Grèce a adopté une série d’incitations à l’investissement pour la promotion de la production audiovisuelle en Grèce, mais vous n’aviez malheureusement pas eu le temps d’utiliser ces outils. Est-ce que ces initiatives pourraient vous inciter à inclure la Grèce dans vos prochains projets?

Notre tournage s’est déroulé très peu de temps avant la mise en place des mesures incitatives pour les tournages en Grèce – qui nous auraient énormément aidés. Je serais bien évidemment très heureux d’en bénéficier pour de futurs projets, d’autant que j’ai été frappé par le professionnalisme et la qualité des équipes grecques de cinéma. La Grèce est infiniment riche d’histoires et de talents, il lui manque surtout les infrastructures et un système plus fonctionnels – et les mesures incitatives qui viennent d’être mises en place vont vraiment dans la bonne direction.

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* L’interview a été accordée au Bureau de Presse et de Communication de l’Ambassade de Grèce en France

 

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