Au début du siècle précédent, sept cent mille grecs vivaient en Egypte, l’apogée de la présence hellène étant les années vingt, trente. Dans les années 60, ils n’étaient plus que 47673. Le socialisme instauré par Nasser, les nationalisations massives, l’insécurité professionnelle ont fortement contribué à l’exode. Mais le retour au pays de ces ressortissants était peu encouragé par le gouvernement grec, qui craignait une arrivée importante de chômeurs sur son territoire et avec eux la propagation d’idées gauchistes, et préférait les orienter vers d’autres destinations telles l’Australie ou l’Afrique du sud, afin que la « mère patrie » puisse continuer à percevoir des virements d’argent contribuant à l’économie. Stavros, Gilbert et Georges ont grandi au Caire ou à Mansourah lorsque Nasser était au pouvoir, en sont repartis au début des années 70, non pas par désamour du pays ou contraints, mais pour terminer leurs études en Grèce.

A Athènes quand Stavros retrouve Gilbert, leur conversation commencée en grec, se poursuit en français et se termine en arabe. Les trois langues s’enchainent parfois, fluides, dans une seule phrase.

Au Caire, Stavros étudiait à l’école allemande; à la maison, son père qui a achevé ses études de droit à Aix en Provence, lui parlait en français, des cours particuliers de grec et d’arabe remplissaient ses semaines, studieuses et chargées. Avocat pour la communauté grecque du Caire, pour les VIP, pour des clients prestigieux telle l’ambassade du Congo, son père gagnait très bien sa vie. Son oncle vendait des pièces détachées de voitures, rares et réservées aux classes aisées à l’époque. Le dimanche passé au Sporting club était consacré aux amis, filles et fils de diplomates égyptiens ou étrangers pour la plupart retournés depuis dans leur pays, aux loisirs, au café, au cinéma, aux fêtes. « Les communautés vivaient entres elles mais les relations étaient bonnes, celles avec les autochtones aussi, celles avec les domestiques également ». Il se souvient encore avec passion du soir de 1970 ou à la sortie d’un cinéma il apprend la mort de Nasser, « Nasser était le dieu du monde arabe, les gens sortaient des cinémas en pleurant, se tapaient la tête contre les colonnes ». Le jour de ses funérailles, la capitale égyptienne était noire de monde, sa famille et lui les ont suivis à la télévision, du cercueil de l’homme d’état des galons du costume ont été arrachés, volés et gardés en souvenir. La Grèce, Stavros y séjournait trois mois par an, pendant les vacances d’été et logeait à Kiffissia chez sa tante. En 1975, à 19 ans, il quitte le domicile familial et le Caire pour l’université d’Athènes. Un retour est envisagé une fois ses études achevées mais il s’installera finalement dans le quartier de Xalandri, dans un appartement acheté par ses parents qui restés en Egypte n’y venaient que six mois par an, exercera le métier d’agent immobilier, appartement et fonction qu’il occupe toujours aujourd’hui.

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Gilbert lui a quitté le Caire en 1973. Il a ensuite fait toute sa carrière professionnelle à la télévision publique grecque. Lorsque je lui demande s’il est nostalgique de l’Egypte : « pas de celle de maintenant non. Avant, entre 1956 et 73, c’était un état laïc ». Il a le souvenir d’une adolescence joyeuse et heureuse. Sa vie gravitait autour de la communauté grecque, l’école, les sorties, les activités sportives… « Il y a maintenant seulement entre 600 et 1000 grecs vivant en Egypte, ajoute t-il, Toutes les écoles ont disparu sauf deux, l’une au Caire, l’autre à Alexandrie, l’hôpital grec lui existe toujours; et les églises sont dorénavant gérées par les Coptes ». Les tribunaux étaient mixtes, les audiences, les débats se déroulaient à la fois en arabe et dans la langue du prévenu, lequel s’il était européen « échappait » souvent à la condamnation. Lorsque Gilbert est parti faire ses études à Athènes, sa famille est restée au Caire. Son père y est mort, sa mère a fini par venir vivre en Grèce, poussée par l’incertitude politique qui règne dans le pays. Il déplore une actuelle situation politique et religieuse extrême et nationaliste qui « n’encourage pas beaucoup les investissements ». « Le peuple égyptien a quasiment toujours vécu sous le joug d’un dictateur, il a besoin d’un homme fort » conclut-il

« L’Egypte a toujours vécu sous le contrôle de l’armée; Nasser, Sadate, Sissi…ce sont tous des officiers ». La guerre de 1956, la nationalisation du canal de Suez ont provoqué le départ en masse d’européens, français et anglais essentiellement, qui travaillaient sur le canal, laissant ainsi vacants des postes repris par les grecs notamment. Mais pas seulement. « Nasser voyait les étrangers comme des ennemis, mais à l’époque les grecs échappaient à ce jugement ». George est né en 1945 à Mansourah, il considérait Nasser comme un leader, bon pour son peuple et son pays, alors que politiquement, le cœur de la majorité des grecs d’Egypte vibrait à droite. « Nasser voulait changer l’Egypte, faire un socialisme coopératif », mais après les nationalisations, la confiscation de leurs biens, de leurs entreprises, les grecs ont commencé à quitter le pays. Une fois nationalisée leur société, leur étaient donné le choix de rester en tant que gérant ou de partir. La plupart partaient.

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Le père de Georges est arrivé en Egypte à l’âge de treize ans, vivait chez son oncle et travaillait alors dans l’épicerie familiale, « une vie avec beaucoup de misère », puis il intègrera une usine d’eaux gazeuses. Il considérait l’Egypte comme son pays, sa patrie. Georges aussi, et ce même s’il n’y est pas retourné depuis vingt ans. Rentré comme beaucoup de jeunes grecs à Athènes faire des études supérieures, il est ensuite, en 1970, recruté par OTE, la compagnie hellène des télécoms, où il restera et accomplira toute sa carrière.  

A l’adolescence, ses loisirs se composaient de quelques fêtes, du cinéma, du club où les grecs se retrouvaient l’été. Son meilleur ami était égyptien, Georges parlait l’arabe égyptien de rue, à l’école étaient dispensés des cours d’arabe, de grec, de français et d’anglais. Il a eu des petites amies égyptiennes. A l’époque, fréquenter une jeune fille du cru s’avérait être compliqué, et très mal vu notamment pour la demoiselle. Les relations, les liaisons mixtes restaient secrètes et cachées. L’école à Mansourah, un internat réputé, strict, à la discipline sévère, où étaient envoyés de toutes les villes d’Egypte jeunes gens et jeunes filles turbulents, fonctionnait grâce aux dons de riches grecs.

Georges a rencontré sa femme en Grèce, et entrainé dans le tourbillon de sa nouvelle vie grecque n’a pas eu le temps de céder à la nostalgie, contrairement à Stavros qui longtemps après son installation à Athènes, pensait toujours à son heureuse adolescence égyptienne.

 

Texte écrit par la bloggeuse Bénédicte Laplace (https://fantaisiesgrecques.wordpress.com/

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