Les premières photographies couleur (autochromes) en Grèce sont prises au début du XXe siècle par les photographes français Léon Busy, Auguste Léon et Stéphane Passet pour les Archives de la Planète, fonds iconographique rassemblé par Albert Kahn (1860-1940), consacré à la diversité des peuples et des cultures.  GreceHebdo revisite cette histoire fascinante. 

Auguste Léon, Dans le port de Salonique 14 mai 1913. Source: Collection Archives de la Planète – Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine.

Albert Kahn : un banquier philanthrope à la recherche des cultures du monde

Albert Kahn, né Abraham Kahn à Marmoutier en Alsace le 3 mars 1860 et mort à Boulogne-Billancourt le 14 novembre 1940, était un banquier et philanthrope français, connu pour avoir réuni un important fonds iconographique sous le titre Archives de la Planète, une collection constituée d’autochromes (photographies en couleurs sur plaques de verre) la plus importante au monde, et de films en noir et blanc, matériel conservé au musée départemental Albert-Kahn.

Né dans une famille juive alsacienne de marchands de bestiaux en 1860, le jeune Albert est envoyé à Paris après la guerre franco-allemande de 1870 et l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Empire allemand.  Selon Gilles Baud-Berthier (historien et directeur du Musée Albert-Kahn), dans la capitale française Albert allait rejoindre des dizaines de milliers « d’exilés de l’intérieur », ces Alsaciens et Lorrains qui refusent de devenir des sujets du IIe Reich allemand. La solidarité nationale envers ces réfugiés est active et le jeune Albert Kahn devient employé dans la banque Goudchaux, une banque d’origine lorraine.

Dans les années 1880, le jeune homme convainc la banque Goudchaux d’investir dans l’activité minière d’Afrique du Sud. Plus particulièrement, une compagnie attire son attention, la De Beers Consolidated Mines C° qui connait une croissance fulgurante grâce à laquelle Albert Kahn connaît le début de sa fortune et, en quelques années, il devient l’un des propriétaires de la banque Goudchaux avant de créer sa propre banque d’affaires en 1898, tout en apportant un intérêt particulier aux marchés « émergents » de son époque, surtout au marché japonais. [Gilles Baud-Berthier, 2010]

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A gauche: Albert Kahn sur le balcon de sa banque à Paris. 1914. Georges Chevalier © Musée Albert-Kahn – Département des Hauts-de-Seine. A droite: Jean Brunhes (source: Wiki Commons).

Les Archives de la Planète : A l a recherche du « Grand Livre de l’Homme »

En parallèle aux activités bancaires, Albert Kahn est un idéaliste de la paix universelle et consacre sa fortune à la réalisation d’un projet philanthropique. Son rêve est de faire rapprocher les peuples, les religions, les ethnies, œuvrer pour la paix universelle, et contribuer ainsi à la naissance d’un monde idéal débarrassé des conflits. Dès 1898, il distribue des bourses de voyage à de jeunes agrégés et en 1909, il lance l’opération « Les Archives de la planète » qui rapportera 72.000 plaques autochromes, et 100 heures de films issus d’environ 50 pays.

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Stéphane Passet, Salonique, groupe de réfugiés, 2 septembre 1913. Source: Collection Archives de la Planète – Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine.

Force est de préciser que l’autochrome est la technique inventée par les frères Lumière en 1905: il s’agit du premier procédé industriel de photographie en couleur. C’est une photo sur plaque de verre, composée de fécule de pomme de terre et de pigments de couleur : orange, vert et violet.

Selon Gilles Baud-Berthier,  l’objectif d’Albert Kahn est double. D’une part, il cherche à conserver la mémoire du monde en train de disparaître sous l’impact de la modernité. D’autre part, à travers la documentation ainsi réunie, Albert Kahn cherche à composer le « Grand livre de l’Homme » et à saisir le caractère unique de l’homme au-delà des différences culturelles. Il est convaincu que les élites de son époque, au vu de ces images, ne peuvent que s’approprier l’esprit de tolérance, gage de la paix universelle.

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De gauche à droite: Auguste Léon, Corfou, Une femme sur un escalier (3 octobre 1913),Stéphane Passet, Mont-Athos, Karies, Gendarmes (7 septembre 1913), Auguste Léon Corfou, Trois femmes Corfiotes en costume (1913) Source: Collection Archives de la Planète – Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine.

En cherchant à archiver le monde, dans une perspective encyclopédiste, Albert Kahn demande en 1912 au géographe Jean Brunhes (1869-1930) d’organiser ses Archives de la Planète. Ce spécialiste de la discipline encore neuve de la « Géographie humaine » (chaire au Collège de France, financée par Albert Kahn),est l’un des rares utilisateurs de la photographie dans sa discipline, car lui aussi recherche une restitution de la réalité la plus fidèle possible. [Gilles Baud-Berthier, 2010]

Jean Brunhes recrute au fil du temps une quinzaine d’opérateurs placés sous l’autorité du chef de laboratoire Auguste Léon (1847-1942), lui-même chimiste et photographe. Brunhes les forme sommairement aux principes de la géographie humaine. C’est ainsi que le projet d’Albert Kahn prend forme. Jusqu’en 1931, une cinquantaine de pays sont parcourus et donnent lieu à la réunion d’une collection d’environ 72 000 plaques autochromes, 4 000 plaques stéréoscopiques, environ 180 000 mètres de film nitrate 35 mm muet. Entre autres, au sein de la Méditerranée sont représentés, la France, la Grèce et le reste des Balkans, l’Espagne, l’Italie, l’Afrique du Nord (les trois pays du Maghreb), l’Égypte, la Syrie et la Palestine.

Le banquier Albert Kahn connaît la faillite à la fin de sa vie, en 1932. L’événement met fin à l’aventure des Archives de la Planète mais la collection reste en place dans sa résidence et est  aussi accessible en Open data au site Albert-Kahn (www.albert-kahn.fr). 

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A gauche: Auguste Léon, Le Juif vendant de la salade, Salonique, 13 mai 1913. A droite: Auguste Léon,, Un coin du bazar de Salonique, 13 mai 1913. Source: Collection Archives de la Planète – Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine.

La Grèce au début du XXe siècle : les premières photos en couleur

Auguste Léon (1847-1942), le chef du laboratoire photographique des Archives de la Planète, se trouve à Salonique (Thessalonique) en mai 1913,  quelques mois seulement après la défaite des ottomans et l’annexion de la ville à l’État grec, en octobre 1912.  Salonique à l’époque est le port le plus important des Balkans et une ville dynamique et cosmopolite où différents groupes religieux (principalement juifs, chrétiens et musulmans) vivent ensemble. Fasciné par la vie dans cette ville animée, le photographe Auguste Léon est le premier à prendre des photographies en couleur de la ville (les premières de la Grèce d’ailleurs), pour les Archives de la Planète, en mai 1913.

Par la suite, d’autres opérateurs d’Albert Kahn (Passet, Cuville, Busy, Chevalier) ont aussi effectué plusieurs voyages en Grèce dans une période de quatorze ans (1913-1927): en 1913, Auguste Léon et Stéphane Passet(Salonique, Mont-Athos, Corfou, Athènes, Delphes, Corinthe), en 1914, Auguste Léon (Corfou),  en 1918, Fernand Cuville et Léon Busy  (Salonique, Mont-Athos) et en 1927, Georges Chevalier (Délos, Crète, Mykonos et Athènes).

Les photographes des Archives de la Planète offrent aujourd’hui une collection inestimable de la Grèce du début du XXe siècle, en cherchant à témoigner, dans les mots d’ Albert Kahn, « tous les aspects, les pratiques et les modes de l’activité humaine, dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps. »

 Magdalini Varoucha | Grecehebdo.gr 

Grece Athenes La place de la Constitution 14juillet1927
Georges Chevalier, Athènes, La place de la Constitution, 14 juillet 1927 Source: Collection Archives de la Planète – Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine.
 
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M. V.
 

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