Nicolas Calas fut un poète et critique d’art ayant vécu en Grèce, en France et aux États-Unis. Le parcours de Calas intègre différentes conjonctures historiques et mouvements intellectuels, plaçant celui-ci dans la soi-disant « avant-garde internationale » tout au long du 20ème siècle (Rentzou 2004).

Nicolas Calas (Source: Archives Littéraires et Historiques Grecques – ELIA)

La jeunesse athénienne

Né Nicolas Kalamaris à Lausanne le 27 mai 1907 (New York Times 1989), il était issu d’une famille de commerçants aisés, fils de Ioannis Kalamaris, originaire d’une lignée d’armateurs et de propriétaires terriens de Syros, et de Rosa Caradja, arrière petite fille de l’héros de la Guerre d’Indépendance grecque Markos Botsaris ; Kalamaris a grandi à Athènes où il a reçu une éducation francophone et anglophone dans un milieu bourgeois (Hoff 2009). Il s’est inscrit à la Faculté de Droit de l’Université d’Athènes entre 1925 et 1927, parallèlement à sa participation au groupe démoticiste Foititiki Syntrofia (Compagnie Étudiante). Dès 1929 Kalamaris commencera à publier des textes de critique politique et artistique sous le nom de M. Spieros, tiré de celui de Maximilien Robespierre. Dans la première moitié des années 1930, il publiera ses premiers recueils de poésie, dorénavant sous le nom de Nikitas Randos, formé par la quasi-anagramme du nom d’une ancienne compagne, Dora (Kolocotroni 2009), tandis qu’en 1935, à l’occasion de la parution d’Ypsikaminos (Fourneau) d’Andréas Embeirikos, il joindra les rangs des surréalistes (Rentzou 2004).

Dès sa jeunesse, Kalamaris s’engage dans des causes radicales et innovantes, soit artistiques soit politiques ; l’art prolétarien et la cause communiste, comme illustrée par l’avant-garde soviétique des années 1920, représentaient pour Kalamaris la quête du renouveau et du progrès (Rentzou 2004). Bien qu’initialement réticent à l’égard de l’expressionisme et du surréalisme, Kalamaris se distanciera très tôt du réalisme cru « moderniste ». Sa conversion au surréalisme se fera graduellement, au début des années 1930 ; Effie Rentzou attribue son passage au surréalisme aux changements de l’esthétique dominante du mouvement communiste, au rapprochement de Kalamaris au Trotskisme, ainsi qu’aux développements similaires au sein du surréalisme français (2004). 

À Paris

Depuis 1933 Kalamaris se rendait déjà couramment à Paris où il prenait connaissance des milieux artistiques de la capitale française, parallèlement à sa présence sur la scène athénienne (Rentzou 2004). Déçu par l’environnement intellectuel d’Athènes, comme il écrivit plus tard à Nanos Valaoritis (Hoff 2009), Il finira par s’installer à Paris en 1937, après quoi il adoptera finalement le nom de Nicolas Calas (Rentzou 2004) ; ce nom faisait allusion directe à Jean Calas et l’affaire d’intolérance religieuse en France prérévolutionnaire qui avait suscité l’intervention de Voltaire en 1763 (Kolocotroni 2009). Calas deviendra membre actif du cercle des surréalistes français et publiera en 1938 sa première collection d’essais en français, Foyers d’Incendie, après l’encouragement d’André Breton. Dans ceci, Calas essayait de définir l’art en tant que processus révolutionnaire, en commençant aussi à introduire les thèmes de l’amour de la sexualité et en tentant de transgresser différentes catégories de savoir ; Foyers eut un impact important dans les années qui suivirent (Rentzou 2004).

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Carton d’invitation pour l’exposition internationale du surréalisme à Paris (17 janvier 1938) (Source: Wikimedia Commons)

Outre-Atlantique

Calas quittera Paris après le commencement de la Seconde Guerre mondiale (Hoff 2009) ; il voyagera initialement à Lisbonne où il séjournera pendant quelques mois en prenant part à la scène artistique locale, avant de gagner New York en 1940 où il s’installera permanemment, devenant citoyen américain en 1945 (Hoff 2009). Faisant partie du cercle des exilés européens, Calas tiendra ses distances par rapport aux intellectuels américains (Kolocotroni 2009), même si il contribuera à établir New York en tant que centre de l’avant-garde mondiale dans les années 1950 et 1960 (Rentzou 2004). Il travaillera pendant la guerre pour l’ « Office of War Information » et écrira dans la revue Partisan (Kolocotroni 2009). Parallèlement, il publiera Confound the Wise en 1942, qui cependant ne fera pas l’unanimité dans les cercles artistiques new-yorkais. Cette œuvre témoigne en grande partie de l’impact de la nouvelle expérience américaine, notamment le passage d’une vision holistique du paysage urbain à un éventail de petits panoramas décentrés (Rentzou 2004). Les thèmes de Confound the Wise continueront à traverser l’œuvre de Nicolas Calas dans les années à venir.

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Des chercheurs employés à l’« Office of War Information » en 1943 (Source: Wikimedia Commons/ Library of Congress)

Calas coopérera plus tard avec l’anthropologue Margaret Mead sur le livre Primitive Heritage, tandis qu’il continuera de publier des articles dans des revues telles qu’Artforum, Art International, Arts Magazine, et Village Voice, ainsi qu’une série d’ouvrages de théorie artistique, souvent en collaboration avec sa femme Elena Calas. Durant les années soixante, il enseignera à l’Université Fairleigh Dickinson au New Jersey. Vassiliki Kolocotroni suggère que Calas fonctionnera en tant que médiateur du surréalisme européen (français) et de la scène américaine, comme dans le cas de William Carlos Williams, pour lequel l’œuvre de Calas servit d’inspiration (2009). De même, le surréaliste vétéran Calas fut un point de référence pour les poètes de la génération Beat, s’inscrivant aussi plus tard en tant que figure centrale dans les premiers pas du Pop Art  (Kolocotroni 2009).

Plus généralement, Effie Rentzou suggère que la trajectoire de Nicolas Calas et son œuvre, entre poésie et analyse critique, l’ont placé dans l’avant-garde artistique et théorique du 20ème siècle – avec ses mutations, contradictions et transpositions géographiques (Rentzou 2004).

Le renouement des liens avec la Grèce et le politique

Comme souligné par Lena Hoff, Calas, après son installation aux USA, n’écrira pas des poèmes pour une période de vingt ans ; cependant, ses visites en Grèce pour des affaires de famille durant les années 1950 renoueront son intérêt pour la poésie et la langue grecque. Ainsi, il publiera des poèmes en grec dans la revue Pali en 1964 et 1965, dans un style satirique à l’encontre des mœurs traditionalistes et problématiques de la société grecque bourgeoise (« grande » et « petite ») et de ses protecteurs géopolitiques occidentaux (Hoff 2009). Sa prise de distance par rapport aux cercles artistiques grecs l’aida à offrir une nouvelle perspective fraîche, souvent concernée par l’idée de la Grécité, telle qu’elle avait été initialement débattue dans les années 1930 mais surtout telle qu’elle avait été politiquement instrumentalisée par l’État sécuritaire dans la période mouvementée de l’après-guerre et commercialisée par le tourisme de masse (Hoff 2009). La communauté gréco-américaine n’était pas épargnée des écrits ludiques de Calas, qui évitait de côtoyer ses compatriotes aux USA; ce ne fut que durant la dictature des colonels de 1967-1974 que Calas commença à ré-établir des liens avec ceux-là dans le contexte d’organisations antidictatoriales, en collaboration avec des réseaux de résistance démocratique internationaux (Hoff 2009). En effet, cette période offra l’occasion à Calas de renouer ses liens avec l’instinct du politique – qui semblait ne l’avoir jamais quitté.

Comme remarque Panayiotis Bosnakis, la poésie critique de Calas ne signala pas une rupture complète avec l’imagerie hellénique mais, par contre, une réappropriation originale et subversive qui avait pour but de déstabiliser le consensus esthétique de l’époque en priorisant des nouvelles formes et forces créatrices (1998). Cette quête de l’expérimentation– souvent en confrontation avec l’établissement poétique – était succinctement illustrée dans le cas de la représentation de la mer Egée ; contrairement à l’œuvre d’Odysseas Elytis, l’Egée de Calas devient un site mystique et révolutionnaire. À ne citer que Santorini, celle-ci était rendue à travers les couleurs du rouge et le sentiment du danger volcanique bruyant et éveillant (Bosnakis 1998).

Les années 1970 signaleront la reconnaissance de l’œuvre de Calas en Grèce, où il recevra même le Prix National de Poésie en 1977 pour son recueil Rue Nikitas Randos, comportant des poèmes qui datent des années 1930, 1960 et 1970 (Hoff 2009). Il mourra à New York le 31 décembre 1988 (New York Times 1989). Les archives du couple Calas se trouvent aujourd’hui à la Bibliothèque Nordique d’Athènes.

Dimitris Gkintidis | Grecehebdo.gr

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D. G.

 

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