« C’est Mauthausen qui m’a défini comme homme, je suis encore un homme du camp »
Iakovos Kambanellis, 2005
 

Mauthausen constitue une œuvre du dramaturge grec Iakovos Kambanellis (1921-2011), parue en Grèce en 1963, et voit le jour pour la première fois en français en janvier 2020 chez Albin Michel (dans la traduction de Solange Festal-Livanis). La version française vient de recevoir le quatrième prix du livre étranger décerné par le Journal du Dimanche et France Inter.

Mauthausen raconte la détention de l’auteur dans le camp de concentration autrichien de 1943 à 1945. L’auteur revient sur la survie dans le camp et aussi pendant les mois qui suivirent la libération par les Américains, en posant la question primordiale, comme d’autres auteurs de survie (notamment Primo Levi) de façon suivante: comment est-il possible de sauver une part d’humanité en plein cœur de l’enfer ?

Iakovos Kambanellis : brève biographie

Iakovos Kambanellis (Naxos, 2 décembre 1921,  Athènes, 29 mars 2011), est un écrivain, dramaturge et poète grec.

Sixième enfant d’une famille qui en comptait neuf, il a été forcé de quitter l’école tôt afin de travailler à la suite d’un revers de fortune familial et le déménagement à Athènes en 1935. En même temps le jeune Kambanellis suit ses études dans une école technique du soir, découvre les bouquinistes de la capitale et devient un lecteur maniaque de littérature grecque et étrangère.

En 1942, en pleine occupation allemande, il cherche à fuir au Moyen Orient. Décidé à passer en Suisse, il finit par être arrêté à Innsbruck, en Autriche. Il est par la suite envoyé aucamp de concentrationautrichien deMauthausen, où il fut prisonnier de 1943 jusqu’au 5 mai 1945 quand le camp fut libéré par les troupes américaines.

Voici d’ailleurs la façon dont Kambanellis raconte en 2005 comment il s’est retrouvé à Mauthausen :
« Un ami, un peu plus âgé que moi, m’avait convaincu que nous pouvions nous enfuir de Grèce pour le Moyen-Orient. Lui, plus déterminé que moi, a entrepris de trouver le moyen : c’était d’aller sur une des côtes de l’Attique où des caïques nous feraient passer en face. Ça n’a pas pu se faire, car il s’est rendu compte qu’il fallait que chacun de nous ait 60 livres or. Quand il a vu que ça ne marchait pas, il a trouvé un autre moyen : nous passerions avec des papiers par la Yougoslavie et nous arriverions à Vienne où avec les 200 marks que nous aurions gagnés en vendant des cigarettes, nous obtiendrions de faux passeports italiens. C’est ce que nous avons fait. Ils nous ont arrêtés à Innsbrück et ils nous ont emmenés dans une prison à Vienne.La chose la plus simple était de t’envoyer dans un camp de concentration. Et c’est ce qui s’est passé… » [Emission « Monogramma » de Yorgos Sgourakis, 2005, ERT/ archives numériques retranscrit par Solange Festal-Livanis, Source ]

BeFunky Collage mauthausen

« Mauthausen » : un récit autobiographique

« Je suis encore un homme du camp », disait Iakovos Kambanellis, en 2005, dans un entretien télévisé [Evi Kyriakopoulou,  « La vie est ailleurs », ET1, Source].

Après avoir connu l’expérience du camp de concentration Kambanellis en a tiré, vingt ans plus tard, sa seule œuvre narrative, Mauthausen publiée à Athènes en 1965 et traduite par la suite en anglais et en allemand.

Selon Festal-Livanis, qui a traduit le texte en français (paru aux éditions Albin-Michel, janvier 2020) Mauthausen suit le style d’une longue narration au statut difficilement classable puisqu’elle tient à la fois, et avant tout, du témoignage sur la vie du camp avant, mais aussi après la libération, et de la fiction romanesque, et qu’elle intègre, en outre, des éléments qui relèvent d’autres genres, chansons ou dialogues de théâtre.

« Mauthausen possède une singularité évidente. C’est pourquoi nous avons eu envie de traduire ce texte qui a quelque chose du monstre au sens étymologique, de l’exception hors normes à montrer et qui s’inscrit dans un contexte plus général des écrits concentrationnaires de la deuxième guerre mondiale », explique-t-elle.

« Mon intention n’était pas de parler principalement des S.S et des tourments des détenus. J’en ai fait forcément mention, mais avec parcimonie, autant qu’il fallait pour qu’aient leur entité dramatique les espoirs qui fleurissaient en mai 1945 et l’amertume qui leur a succédé les années qui ont suivi […] Dans le microcosme du camp libéré, dès que les prisonniers ont mangé, ont repris des forces et se sont tenus sur leurs jambes, ils se sont souvenus de leurs passions pour la politique. Je ne dis pas que cela était totalement absurde… Mais, pensez un peu : dans un lieu où 240 000 personnes avaient été tuées par un ennemi commun, les 30 000 survivants (qui l’étaient comme par miracle) en train de s’entredéchirer maintenant, et même souvent avec les morts et les blessés… » Kambanellis Iakovos, Depuis la scène et depuis le parterre, p. 182-183. Source]

En Grèce, si Mauthausen a connu un vrai succès à sa parution, de nos jours, en revanche, la majorité du public relie ce titre plutôt au disque de Mikis Theodorakis inspiré du récit du rescapé de Mauthausen. En effet le texte poignant et original inspira le compositeur Mikis Theodorakis qui, dans La Ballade de Mauthausenmit en musique des poèmes qu’Iakovos Kambanellis écrivit pour l’album.

Iakovos Kambanellis travailla aussi avec d’autres célèbres compositeurs comme  Manos Hadjidakis et Stavros Xarchakos.

KAMBANELLIS AND KAROLOS KOUN
Iakovos Kambanellis et Karolos Koun.  Source: www.kambanellis.gr

De l’homme du camp à l’homme de théâtre : collaboration avec Karolos Koun

Quelques mois après son retour en Grèce, il  eut ce qu’il considérait comme une révélation pour le théâtre en assistant à une représentation mise en scène par Karolos Koun, artiste et intellectuel qui transforma la scène théâtrale grecque par ses approches dramaturgiques fondées sur la méthode Stanislavski.

En parlant de son expérience dans le théâtre, Kambanellis explique :
« Ce n’était pas la pièce qui m’avait bouleversé […]. C’était la découverte que la vie pouvait être représentée de façon si vivante, si convaincante. Et aussi le fait que ce que j’avais vu sur la scène pouvait être une vérité plus significative que le modèle de la vie réelle. » Kambanellis Iakovos, Depuis la scène et depuis le parterre, Athènes, Kastaniotis, 1990, p. 23-24. Source]

La première ambition de Kambanellis  est de devenir acteur, mais, muni d’un simple diplôme technique, il n’est pas admissible dans les écoles dramatiques supérieures d’Athènes. Dans sa déception, il cherche une autre manière d’aborder la scène et se met à écrire et devint donc dramaturge. 

Horos pano apo ta stahia 1950
Danse sur l’épi, la première pièce de Kambanellis, montée en 1950.  Source: www.kambanellis.gr
 
Kambanellis est souvent regardé comme le père de la dramaturgie contemporaine grecque [Solange Festal-Livanis]. Sa pièce néo-réaliste La cour des miracles, en 1957, marque un tournant dans l’histoire du théâtre grec. Après avoir connu un succès immédiat, elle est perçue de nos jours comme une des œuvres fondatrices du nouveau théâtre grec.  Kambanellis écrivit une quarantaine de pièces aux sujets et genres variés, allant du monologue à la pièce nécessitant des dizaines de personnages.
 
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La cour des miracles, Théâtre d’Art de Karolos Koun, 1957. Source: www.kambanellis.gr 

La pièce Notre grand Cirque, créée en 1973 eut un immense succès et fut considérée comme un acte de résistance à la dictature des colonels. Tissant ensemble l’histoire, le mythe, le théâtre d’ombres traditionnel (Karaghiozis) et les motifs folkloriques, la pièce faisait une critique au régime des colonels. En qualifiant le spectacle de “cirque” et en transformant sa sombre vision non seulement du régime au pouvoir, mais de l’histoire de la Grèce en tant que nation en une série de vignettes amusantes, il a réussi à échapper à la stricte censure de l’époque et est devenu un symbole populaire de résistance. 

A noter aussi sa pièce  Le peuple ennemi (1975), une inversion ironique du titre L’Ennemi du peuple d’Ibsen (un amer théâtre-document sur la période 1964-1967, représenté plus tard, en 1975, après la chute de la junte). 

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Notre grand cirque, 1973.  Source: www.kambanellis.gr

 Cinéma, poésie et musique  

En dehors de la Grèce, le dramaturge Iakovos Kambanellis, est peut-être mieux connu comme scénariste de films, dont Stella (1955), réalisé par Michalis Cacoyannis), adaptation de sa pièce de théâtre Stella aux gants rougs écrite pour Mélina Mercouri. Tourné dans les rues d’Athènes, le film suit une chanteuse avide d’hommes (Melina Mercouri) qui refuse d’épouser son amant, et entame une liaison passionnée avec un footballeur. Le film a fait de Mercouri une star et a renforcé la réputation internationale du cinéma grec.

Il écrivit également le scénario de L’Ogre d’Athènes de Nikos Koundouros (1956). En 1968, il fut le scénariste et le réalisateur du film Le Canon et le Rossignol (1968). (Une liste complete de films ici).

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 L’Ogre d’Athènes de Nikos Koundouros (1956). Source: www.kambanellis.gr

Après la libération de la Grèce, il multiplie ses créations et devient directeur de la chaîne de radio ERT. Depuis 1988, il ne se consacre plus qu’à son activité d’auteur dramatique. En 1999, il est élu docteur honoris causa de l’Ecole supérieure des Beaux Arts, docteur honoris causa du Département des Etudes Théâtrales à la Faculté de Philosophie de l’Université d’Athènes et membre permanent de l’Académie d’Athènes.

Iakovos Kambanellis mourut le 29 mars 2011 à 88 ans à Athènes, quelques jours après sa femme.

Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr

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Iakovos Kambanellis avec sa femme Niki.  Source: www.kambanellis.gr

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M.V.

 

 

 

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