Julia Laurenceau est une jeune réalisatrice française dont le dernier film L’île est un documentaire poétique sur Amorgos. Lors de son premier séjour sur Amorgos, Julia a été immédiatement saisie par cette île située à dix heures de bateau du continent et a elle a voulu immédiatement en faire un film. « Il s’agit d’ un dialogue entre hommes, animaux, paysages et fantômes. Ce film est un poème » on peut lire sur le site du filmL’île est un documentaire sur lequel Julia a travaillé depuis six ans. Elle s’est amenée sept fois à Amorgos et elle s’est mise à apprendre le grec, à lire Kazantzakis, Rítsos, Elytis, à voir et revoir les films d’Angelopoulos. Le résultat est un film imaginaire, plein de récits de vie où légendes et réalités se mêlent pour dessiner le portait d’une île  fabuleuse  qui remonte loin dans le temps. En résulte également le paysage propre à cette île comme un écho de ces récits, toujours étrange et mystérieux.
 
GrèceHebdo* a interviewé Julia Laurenceau sur ses rapports avec la Grèce et sur les silences qui hantent Amorgos.
 
 
Pourquoi un film sur l’île d’Amorgos ?
 
Parce que cette île, certainement par sa géographie même (une ligne de crêtes sortant de l’eau), crée un vertige, nous renvoyant à notre condition d’homme perdu au milieu de l’eau et à ce que nous pouvons y faire ! C’est cela qui m’a tout d’abord fascinée, en plus des personnes que j’y ai rencontrées, qui sont comme des prolongements de l’île elle-même.
 
Lile JLaurenceau
 
Quelles sont les personnes qui apparaissent dans votre film ?
 
Avant tout des Amorgoéens qui ont tous un rapport très fort à leur île, ou aux mythes qui l’habitent et qui, je crois, ne pourraient vivre ailleurs. Tout comme Carolina que l’on voit dans le film, qui est la première étrangère à être venue s’installer sur Amorgos, et qui la contemple depuis plus de 40 ans…
 
L ILE AGROTIS
 
Dans votre film, les belles images vont de pair avec des moments de silence : qu’est-ce que la Grèce pour vous ?
 
Je ne sais si je peux répondre à cette question, car finalement je ne  connais vraiment bien que Amorgos et en partie, Athènes. Le silence en tous cas dans le film, est le reflet d’une mentalité. A Amorgos, on parle peu ! C’est un autre rapport au temps et à l’espace que l’on ne cesse de décrypter aussi pour des raisons météorologiques. Mais pour moi ce silence, il est aussi contenu dans le zebekiko final, dans cette introspection particulière, cette forme de catharsis, qui est pour moi très oriental et très grec! La Grèce est ainsi pour moi synonyme de beaucoup de poésie, d’enchevêtrements. Bien-sûr en raison de son histoire, mais aussi de sa langue que j’apprends et qui me fascine: elle densifie des mots français, en leur réouvrant d’autres significations (j’aurai plein d’exemples!) et j’aime beaucoup comment elle se construit, de façon très libre, par apposition. J’aime ses poètes aussi, particulièrement Yannis Ritsos ; la lumière, ses îles qui forment un autre monde et qui sont d’une beauté invraisemblable mais aussi l’agitation athénienne (ses orangers qui sortent des pavés!), un rapport très tourné vers l’autre, comme les chaises dans les tavernes d’Amorgos qui sont mises dos au mur, tournées vers le centre : on y vient pour être ensemble. J’aime aussi un certain excès que peut exprimer le mot μερακλής, très difficile à traduire en français (qui peut signifier « passionné », « habité ») et qui semble être une qualité valorisée en Grèce! L’histoire des Mengkes, du rebetiko, va aussi dans ce sens – nous n’en avons pas l’équivalent en France. Je me sens ainsi très sollicitée en Grèce, concernée, en vie.   Après, bien-sûr, la Grèce aujourd’hui c’est la crise, des amis grecs qui peinent à joindre les deux bouts, le récit d’une Europe qui perd son sens et cela me heurte profondément.
 
L ILE STATUE
 
Pourriez-vous nous raconter un moment heureux et un moment difficile pendant les tournages de votre film ?
 
Des moments heureux en tournage c’est quand ce que vous filmez va au-delà de ce que vous aviez pu écrire, espéré. Il y en a eu beaucoup. Disons la danse finale, par le cadeau que nous a fait Antoine, le danseur, en rentrant complètement dans la mise-en-scène, en s’adressant avec tant d’intensité à la caméra, et ainsi au spectateur. Les moments difficiles, cela a été plutôt au début, lors de mes premières immersions dans l’île en hiver – beaucoup ne comprenait pas pourquoi j’étais là, ce que je cherchais, et ils étaient très distants. Il a fallu beaucoup de temps, mais il y a eu un moment où ils m’ont fait confiance, ce qui a été très beau, car ils l’ont fait avec une générosité rare.
 
* Entretien accordé à Magdalini Varoucha
 
Mardi 3 janvier 2017: Projection à Paris 
Projection de “L’île” de Julia Laurenceau à la salle Charles Brabant de La SCAM, 5 avenue Velasquez 75008, Paris.
Entrée libre, réservation indispensable à projectionlile@gmail.com
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