Fin mars 2017, 65 ans après l’exécution de Nikos Beloyannis (1915-1952) et de ses camarades Dimitris Batsis, Nikos Kaloumenos et Ilias Argyriadis, le musée « Nikos Beloyannis » a été inauguré à Amaliada, lieu de naissance de Beloyannis, dans le but de devenir «un lieu de mémoire vivante et créative», comme a souligné dans son discours sur place le premier ministre, Alexis Tsipras. Níkos Beloyannis était un chef de la résistance grecque pendant la Seconde Guerre mondiale et cadre dirigeant du Parti communiste grec. Condamné à mort pour espionnage au profit de l’URSS, Nikos Beloyannis est considéré comme une victime de la guerre froide
 
A l’issue du nouveau musée de « Nikos Beloyannis », GrèceHebdo* a interviewé l’historien Stathis Koutrouvidis, curateur scientifique du musée, de la part de la Bibliothèque du Parlement grec, qui a entrepris la supervision et la conclusion du projet, 23 ans après le don du bâtiment de l’ancienne maison de Beloyannis à la municipalité d’Ilis. 
 
Nikos Beloyannis (à gauche) avec ses amis Andreas Safaris et Theodoros Theodoropoulos
 
Nikos Beloyannis (1915-1952) : une courte biographie
 
Né à Amaliada (Péloponnèse) en 1915, d’une famille aisée, Beloyannis a étudié le droit à Athènes. En 1936, de retour à Amaliada, il s’implique alors dans l’agitation communiste et dirige le soulèvement paysan des producteurs de raisins sec.
 
Dans les années 1930, il est arrêté et incarcéré à la prison Akronauplia (Nauplie) par le régime de Metaxas et il reste entre les mains des allemands après l’occupation nazie du pays (1941). Il réussit à s’évader au printemps 1943 et rejoint l’Armée populaire de libération nationale (ELAS) dans le Péloponnèse. L’issue de la guerre civile le pousse à quitter le pays en 1949 après la défaite des communistes. En juin 1950, Beloyannis retourne en Grèce afin de réorganiser le Parti communiste grec (KKE), illégal à l’époque. Il est arrêté le 20 décembre 1950 avec l’accusation de transmettre des informations à l’Union soviétique. Le procès, qui concerne 94 accusés, débute à Athènes le 19 octobre 1951. L’un des trois membres du tribunal militaire est Georgios Papadopoulos, qui serait plus tard le chef de la dictature militaire (1967-1974).
 
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A gauche: Discours de Nikos Beloyannis au tribunal. A droite: Nikos Beloyannis et Stergios Grammenos arrivent menottés au tribunal © ELIA-MIET, Archive d’Elli Pappa
 
Beloyannis nie toutes les accusations et insiste sur le caractère patriotique de ses actions pendant la résistance antinazie (1941-1944) et la guerre civile grecque (1946-1949). Un deuxième procès se déroule le 15 février 1952 et 28 accusés se trouvent devant le Tribunal permanent des forces armées. L’espionnage s’ajoute aux accusations suite à la découverte (vraie ou fausse) de radios clandestines au Phalère, le 14 novembre 1951.
 
En dépit des appels nationaux et internationaux à la clémence, Beloyannis a été exécuté, dimanche 30 mars 1952, avec Dimitris Batsis, Nikos Kaloumenos et Ilias Argyriadis, au camp de Goudí. 250.00 télégrammes s’abattent sur le gouvernement grec réclamant la grâce pour les condamnés, portant les signatures, parmi d’ autres, de Jean-Paul Sartre, Jean Cocteau, Paul Eluard, Charles Chaplin et même du général de Gaulle.
Beloyannis tenait un œillet rouge durant le procès et cette image inspire Picasso qui fait par la suite le portrait de  «  l’Homme à l’œillet ». En France, en 1952,  Pierre Courtade et Claude Roy publièrent « Meurtres à Athènes », avec une préface de Paul Eluard et le portrait de Picasso à la couverture. En 1980 Nikos Tzimas a tourné le film « O anthropos me to garyphalo » (L’homme à l’œillet), avec la musique de Mikis Theodorakis, film qui a été massivement suivi par le public grec.
 
  Interview | Stathis Koutrouvidis : « Le rapport avec le passé ne doit pas prendre la forme de ‘héroïsation’ »
 
Pourquoi un musée pour Nikos Beloyannis? Parlez-nous de l’exposition permanente et du concept central  qui régit le fonctionnement du musée.
 
Cette exposition permanente est une tentative de reconstituer une partie de la courte vie de Nikos Beloyannis (1915 -1952). Ce dernier a été une personnalité emblématique du Parti Communiste grec (KKE) et c’est précisèment cette identité qui l’accompagne tout au long de sa vie et qui occupe une place prépondérante dans le cadre de l’exposition. Parallèlement, dans le musée il y a des informations et des pièces exposées qui restaient meconnues jusqu’ à aujourd’hui concernant les vécus personnels de Beloyannis, à savoir son enfance, les années d’études secondaires, ses relations avec d’autres membres de sa famille, ses rapports avec le sexe opposé etc.  Mention particulière doit être aussi faite à son intérêt pour la littérature grecque moderne, intérêt prouvé entre autres par la publication d’un livre peu de temps après sa mort, sous le pseudonyme M. Koulouriotis, ayant comme titre : « Les racines lointaines de la littérature grecque moderne contemporaine ». Notre but consiste à raconter tout cela d’une manière figurative à travers toute une série d’expositions. Il convient de rappeler aussi que Beloyannis, très jeune déjà membre du Parti communiste, a développé une action politique intense et a connu   très tôt sur sa peau toute la cruauté d’un système qui l’a persécuté avec une intensité exemplaire. L’exil, l’emprisonnement, la persécution persistante font partie intégrante d’une vie très difficile qui prend la forme d’un destin dont l’aboutissement final arrive avec son exécution.  On comprend donc pourquoi les deux procès de Beloyannis et son execution occupent une place préponderante au sein de son musée.  
 
Force est aussi de constater que Nikos Beloyannis fut  un personnage emblématique de la gauche qui a réussi à combiner le militantisme avec la pensée théorique et l’ « idéologie ». En ce qui concerne le musée, en très peu de temps, nous avons réussi à concentrer une collection très riche composée du matériel rare qui nous a permis de reconstituer un récit historique révélateur et riche de significations pour le public et le visiteur moyen. La contribution de plusieurs entités collectives voire d’individus comme bien évidemment le fils de Nikos Beloyannis – pour ne citer que lui- a été déterminante dans cette démarche. Dans l’exposition permanente, environ 500 pièces se sont présentées. Malheureusement, le manque d’espace ne nous permet pas d’exposer de documents supplémentaires que nous avons déjà à notre disposition. Tout cela pourrait se réaliser, cependant, dans une deuxième phase avec l’inauguration de la salle au rez-de-chaussée. Cette deuxième phase pourrait se conclure vers la fin de l’année en cours. On cherche à transformer cet espace supplémentaire en une salle multifonctionnelle pour des projections, des discussions et des événements afin d’offrir aux visiteurs, ainsi qu’aux chercheurs, la possibilité d’entrer en contact avec le matériel numérisé de l’exposition.
 
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Photo présentée par la Police avec des objets trouvés en possession de Beloyannis lors de son arrestation, entre autres : cart d’identité, peigne, monte, stylos, lunettes, pièces de monnaie et des billets, cravate et magazine Life. © Collection privée de Nikos Beloyannis
 
Bien que fils d’une famille bourgeoise, Nikos Beloyannis est entré en contact avec des idées de gauche à travers le mouvement syndical / paysan de la région de Pyrgos et Amaliada. Comment est-ce que le musée pourrait aider à relier la communauté locale avec le parcours personnel de Nikos Beloyannis ?
 
Pour être plus précis, Nikos Beloyannis, était fils d’une famille de la bourgeoisie moyenne. Son père Yorgos, descendu des montagnes d’Elis et installé à Amaliada, comme beaucoup d’autres familles du Péloponnèse, a été contraint d’émigrer en Amérique en suivant les tendances de cette époque pour faire de l’argent. En 1916, il a réussi à acheter le terrain au centre-ville où il aurait construit plus tard l’hôtel « Olympia ». Vous avez raison, le contact avec les idées communistes et les organisations du Parti communiste dans les années ’30 venaient des grandes luttes qui ont secoué la région tout autour de la crise de la surproduction du raisin sec. Plusieurs générations ont été affectées par le même phénomène. Il faut souligner que le raisin sec a été pour les habitants du Péloponnèse, ce qui était le tabac pour les agriculteurs dans la Grèce du Nord. A noter que Beloyannis fait de cette expérience une brochure parue aux éditions « Morias libre », immédiatement après la libération du pays (1945).
 
Pour revenir au musée, l’équipe qui a entrepris le projet visait à en faire un pôle d’attraction pour les habitants de la région mais aussi pour les nombreux vacanciers qui y affluent pendant les mois d’été. Le but est de mettre en évidence cette relation dont vous parlez. Beloyannis était une grande personnalité mais cette personnalité est aussi le fruit des conflits sociaux de son époque. Je pense que cela devient évident pour le visiteur de l’expo.
 
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Agriculteurs du raisin sec dans le Péloponnèse  
 
La gestion de la mémoire collective provoque souvent des conflits sur l’Histoire, en Grèce comme ailleurs. Ceci devient évident à travers le débat lancé dans la presse grecque et le monde politique, à l’occasion de la création du musée. Qu’est-ce que Beloyannis représente selon vous aujourd’hui?
 
Tout d’abord, je tiens à souligner d’une manière très claire que les personnes historiques et leurs vies sont exposées à des interprétations différentes, quels que soient leur choix politiques voire leurs chemins personnels. Surtout quand ces personnes ont affecté d’une manière ou d’une autre, la vie politique d’un pays. Plus précisément, dans le cas de  Nikos Beloyannis, il faut aussi tenir compte des conditions nationales et internationales dans lesquels ces événements dramatiques ont eu lieu. De l’autre coté, quel que soit notre avis, ces événements ont eu lieu et personne ne peut pas fermer les yeux, prétendant qu’il ne les « voit » pas ou pire encore rester  « silencieux » à travers ceux ci. Pour ce qui est de l’Etat grecque, c’est le devoir des institutions envers la démocratie de mettre en valeur un homme qui a combattu et a été exécuté pour ses idées. A noter aussi que la vague de solidarité et de soutien envers Beloyannis et ses camarades qui est née à l’échelle mondiale, s’est étendue au-delà de la gauche. A mon avis, l’Etat ne doit pas rester passif face à une grande injustice, c’est-à-dire l’exécution d’un homme avec les décisions extraordinaires des tribunaux militaires. Pour nous, le rapport avec le passé ne doit pas prendre la forme de « consécration » ou de « héroïsation », au contraire, dans la plupart des cas, ce rapport inclut aussi des aspects négatifs. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas faire face à notre passé. Au contraire à mon avis, l’Etat grec devait mettre en évidence Nikos Beloyannis et son rôle à la vie politique de Grèce, afin qu’il comble une lacune réelle.  Mettre en valeur une personnalité est aussi une manière de revoir son parcours personnel, mais aussi de revoir le passé de la région, l’histoire de la ville et de ses habitants.
 
Enfin, la décision d’inaugurer cette exposition répare aussi une autre injustice commise, à savoir le fait qu’on a laissé, pendant plus de 23 ans, ce bâtiment historique inexploité. Dans ce contexte, suite à une invitation de la municipalité d’Ilis, le Parlement grec a accepté le défi de cette démarche et a confié ce projet à la Bibliothèque du Parlement. La compétence et la validité scientifique de celle dernière  ont permis de mener bien les travaux et d’arriver au résultat actuel.
 
* Interview et traduction du grec par Magdalini Varoucha 
 
INFOS PRATIQUES– MUSEE NIKOS BELOYANNIS
Lundi-vendredi : 9:00 – 14:00  & 18:00-20:00
Samedi -dimanche: 9:00-14:00
Amaliada, Péloponnèse 27200
Tel: +30 26220-21300
Email: ekthesi.beloyanni@amaliada.gr.
 
A REGARDER
Réalisateur : Marco Gastine
Coproduction : ARTE France, Les Films du Tambour de soie, Sara M
Première diffusion le 14 Janvier 2017 surARTE
 beloyannis picasso

Le dessin de “L’homme à l’œillet” de Pablo Picasso.

M.V. 
 

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