Le photographe franco-grec Kyriakos Kaziras met en valeur des animaux sauvages, leurs regards et leurs émotions, dans des projets artistiques uniques en leur genre. Né à Athènes, il déménage à Genève à l’âge de 16 ans, avant d’étudier la littérature française à la Sorbonne. Avec des grands-pères peintre et photographe, Kyriakos Kaziras a rapidement été attiré par la photographie. Aujourd’hui, il fait de cet art son métier et voyage essentiellement en Arctique, Antarctique et Afrique pour ses créations. Il nous a fait l’honneur de nous expliquer sa conception de la photographie et les différentes inspirations artistiques qui l’ont influencé.

Quelle est la démarche artistique qui vous permet de prendre de telles photographies ? 

Pour la réalisation d’un travail photographique, je procède comme un réalisateur. J’écris un story board, je dessine les photos que j’imagine et ensuite j’essaie de les réaliser. Pour cette raison, je retourne de très nombreuses fois aux mêmes endroits. Un projet me prend entre quatre et six ans.

Lors de mon premier voyage, je prends peu ou pas de photos, je cherche à connaître les lieux et les habitudes des animaux. Pour les éléphants au Zimbabwe, je souhaitais représenter des effets de lumière et il me fallait aussi des arrière-plans éloignés, dégagés. En fait, je cherche un décor, sans pouvoir toutefois maîtriser la mise en scène.

J’ai ainsi commencé à photographier les ours polaires en 2009 et mon livre White Dream a vu le jour en 2015. Un projet d’exposition ou de livre, c’est comme la composition d‘une symphonie, chaque photo est une note et l’ensemble doit créer une harmonie visuelle.

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Quelle philosophie artistique vous guide-t-elle dans vos projets ?  

Ce qui m’importe le plus, ce sont les compositions, la lumière, les nuances. A travers mes photographies, j’essaie de partager avec le spectateur l’émotion ressentie lors de la prise de vue.

Préparer un livre ou une exposition, c’est comme créer une symphonie. Chaque photographie est une note de musique. Il ne faut pas uniquement de belles notes, mais les positionner les unes par rapport aux autres pour créer une harmonie. Je souhaite montrer la beauté du monde, partager les émotions que je ressens lors des prises de vues. Par mon travail, j’essaie de sensibiliser sur la beauté et la préservation de ce monde fragile. Cela demeure ma ligne de conduite y compris pour mon nouveau projet sur les villes jumelles, actuellement visible dans la galerie parisienne Gadcollection.

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Quels artistes ou courants artistiques ont pu influencer vos créations ? 

Bien évidemment, mon travail est le fruit d’influences très variées, comme le cinéma, la photographie ainsi que la musique. Il y a d’abord la trilogie Heimat, du metteur en scène allemand Edgar Reitz. Il a passé plus de vingt ans sur ce projet. C’est un incroyable travail sur la lumière, le cadrage. Chaque plan est une image parfaitement éclairée et composée. Edgar Reitz m‘a donné l’envie d’explorer l’univers du noir et blanc, et de raconter des histoires. La photographie doit combiner la lumière et l’histoire.

Je suis aussi passionné de peinture. J’aime les « grisailles » de Niccolò Bambini. La grisaille est une peinture monochrome qui imite le bas-relief. Son effet 3D joue uniquement sur des valeurs de gris. Et puis il y a les peintures de Pierre Soulages. En photographie, j’ai découvert jeune la beauté de l’univers de Κώστας Μπαλάφας, Il y a aussi George Hoyningen-HueneHerbert List et sa façon de capter la lumière sur des objets pourtant très anodins et Herb Ritts. Enfin, les portraits d’Irving Penn, pour la forte émotion qu’on ressent dans chaque regard.

Mes influences vont aussi au-delà de la photographie, de la peinture ou du cinéma. Quand je vois des photographies, je pense à Gustav Mahler mais aussi à Disclosure. Pour White Dream, nous avons fait un montage des photos sur le concerto pour violon de Tchaikovsky, une version interprétée par Vladimir Spivakov. Sur les éléphants, c’est l’opposé, c’est le groupe « In the Canopy » avec le titre « Catch a predator ».

La littérature m’accompagne aussi. Je pense à Proust et au récit de son imaginaire à partir de sa chambre. En littérature, il faut des centaines de mots pour décrire, une situation, transmettre une émotion, partager une histoire. Une photographie peut émouvoir sans mots. Le cinéma, la peinture, la littérature, la musique sont liées à la photographie.

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Pourquoi avez-vous décidé de voyager dans des pays aussi variés pour vos photographies? 

J’ai besoin des deux extrêmes l’Afrique et les mondes polaires pour trouver un équilibre. Les lumières polaires et africaines sont une source constante d’émerveillement et d’inspiration. Pour faire un travail abouti, il est nécessaire de se concentrer sur un projet et d’y consacrer souvent des années pour aboutir au résultat souhaité. Il ne faut pas survoler les sujets mais les approfondir.

J’essaie de montrer et sensibiliser les personnes sur la beauté qui existe et ne pas le faire par le biais d’images « choc ». Il ne faut pas tomber dans les extrêmes en disant que nous devons laisser la planète aux animaux ou aux humains, mais trouver un équilibre, cohabiter ensemble. La situation des éléphants est malheureusement un excellent exemple. Vingt-cinq à trente mille éléphants sont abattus chaque année sur le continent africain. La conséquence est dramatique : additionnées, les morts naturelles et celles imputées aux braconniers surpassent le taux de reproduction de l’espèce. Si rien n’est fait, il n’y aura plus aucun éléphant en Afrique d’ici deux décennies. C’est à peine croyable. La guerre bat son plein et les éléphants semblent condamnés par les chasses massives. Je voulais donc donner de la visibilité à ces animaux sauvages qui sont au cœur des préoccupations actuelles.

Je viens également de finaliser mon projet « Twin Cities » qui se base sur les similitudes entre plusieurs villes de l’Amérique du Nord en passant par l’Europe et l’Asie. Mon prochain projet est un livre d’Art, en noir et blanc, très pictural, et des expositions sur les félins d’Afrique. En ce qui concerne un projet en Grèce ou en France, je suis très lié émotionnellement à ces pays. Pour cette raison, je ne suis pas encore prêt à créer un projet les concernant. Cela prendra du temps, mais fera sans nul doute parti de mes projets futurs.

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* Interview accordée à Johanna Bonenfant |Grecehebdo.gr