Nikos Mandis est l’auteur de quatre romans, d’un recueil de nouvelles et de trois collections de poésie. Il est également traducteur de romans de langue anglaise. Il vit et travaille à Athènes. Son dernier roman Les aveugles  (éditions Kastaniotis), paru en 2017, a déjà gagné le vif intérêt du public et des critiques.

Nikos Mandis a parlé à Greek News Agenda | Reading Greece * au sujet de son dernier roman Les aveugles, en affirmant que son principal objectif consistait à  créer un mélange assez complexe d’histoires qui auraient Athènes comme le principal protagoniste, mais aussi la Grèce dans son ensemble,  en utilisant l’archétype mythologique de Labyrinthe et de Minotaure.

Dans cette interview, Mandis  se concentre également sur le sujet de la violence et la façon dont celle-ci est traitée dans ses livres, ainsi que sur la manière dont sa langue évolue d’un livre à l’autre. « Je pense que nous avons besoin de quelques fous et audacieux ‘serviteurs de la fiction’, nous avons besoin des écrivains dont la véritable loyauté sera envers les grandes histoires et rien d’autre », ajoute-t-l Mandis.

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Votre dernier roman Les aveugles vient de paraître et a déjà reçu des critiques élogieuses. Parlez-nous de votre livre.

C’est un livre d’environ 600 pages, avec beaucoup de personnages, d’intrigues et d’ intrigues secondaires, dont la plupart tournent autour du centre d’Athènes dans un lapse de temps qui va de l’époque actuelle aux années 1970 (l’époque de la junte) et retourne encore, et aussi quelques scènes apparemment aléatoires qui fonctionnent comme des intermissions et nous emmènent aussi loin que la Grèce antique ou même Babylone préhistorique. L’histoire centrale, cependant, est sur la quête du personnage principal (Isidoros) pour trouver la fille qu’il aime et a perdue (Sophia) dans les ruelles du centre-ville d’Athènes, pendant une période de troubles particuliers (l’été 2011).

Dans sa critique de livre, Vangelis Hatzivasileiou note que Les aveugles n’est pas seulement un roman politique mais une plongée dans l’identité politique grecque moderne. Comment est-ce que s’entrelacent le social et l’existentiel dans le livre ?

Eh bien, je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à ça. Je voulais certainement que le livre transcende les catégorisations bien connues telles que «roman politique» ou pire «roman de crise grec», ainsi que le plus à la mode de «roman postmoderne». Mon but principal était de créer un mélange quelque peu complexe d’histoires entrelacées, qui aurait Athènes comme protagoniste principal, mais aussi la Grèce dans son ensemble, mêlant des versions de soi actuelle et plus ancienne, en utilisant l’archétype mythologique du labyrinthe et du Minotaure comme schéma directeur. Je voulais aussi écrire un thriller qui combinerait des éléments de la paranoïa moderne, en particulier la théorie locale des théories du complot et leurs bases politiques, qui me fascinent.

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“Athènes, La ville des chaises solitaires”, Melina Kaminari, Athènes 2003- 2009

“J’ai toujours voulu écrire un roman à plusieurs niveaux, une histoire qui relierait plusieurs personnes et différentes lectures de la réalité, qui serait cependant centrée sur Athènes…  J’avais le sentiment que la façon dont Athènes était représentée dans les livres était plus ou moins fortuit… Je voulais que la ville se manifeste à travers son histoire, dévoilant les multiples niveaux qui constituent son identité”. Parlez-nous un peu plus de ça.

Oui, comme je l’ai dit plus tôt, c’était ce que j’avais en tête. J’ai toujours aimé la façon dont les villes du monde sont devenues des villes littéraires et ont été mythifiées éternellement par les grands écrivains, que ce soit Paris d’Hugo, Londres de Dickens, Alexandrie de Durrell, Buenos Aires de Sabato, Le Caire de Mahfouz, New York d’Auster, Istanbul de Pamuk, la liste est infinie. J’ai eu la vaine ambition de pouvoir faire quelque chose de similaire avec Athènes, comme une sorte de travail en cours pour mythifier la ville principale grecque, qui, à mon sens, n’avait pas un traitement littéraire similaire, du moins dans son incarnation moderne.

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Athènes de nuit. Source de photo: Athens Social Atlas.

On a fait valoir que la violence est l’opium de l’époque. Comment la violence, dans ses multiples connotations et manifestations, est-elle traitée dans vos livres ?

La violence – surtout dans sa version plus discrète et «sourde» – est un excellent moyen de créer de la tension dans la fiction, alors je m’y suis mis pour de bon, dans l’espoir de l’utiliser sagement et avec retenue. D’autre part, dans nos vies quotidiennes, la violence est quelque chose que nous avons tendance à rencontrer et même à souffrir de plus en plus souvent, soit dans le contexte de l’actualité mondiale, soit dans la vie quotidienne d’un pays en crise. De plus, la violence peut aussi être politisée, considérée par divers agents comme une monnaie et un moyen de changement souhaité. Ce sont des éléments récurrents dont il faut tenir compte lors de l’écriture de fiction sur la Grèce aujourd’hui, dans un environnement social qui demande souvent aux écrivains de «prendre parti» dans un conflit en cours, qu’il s’agisse de lutte des classes ou de modernisation du pays, dépendamment du point de vue idéologique de chacun. J’ai essayé de rester à l’écart, sachant, bien sûr, qu’essayer de rester à l’écart est aussi très politique.

Et la langue ? Comment votre langage a-t-il évolué ou s’est-il différencié depuis vos premiers écrits ?

Je pense que l’utilisation du langage dans ma fiction a tendance à graviter autour de la portée de chaque livre en termes de narration. Parfois celle-ci devient extrêmement lyrique (comme dans mon premier roman, Winter Snow) et parfois assez éparse (comme dans mon roman précédent, Rock, Paper, Scissors). Dans celui-ci, le langage essayait d’imiter la structure du livre, il tournait autour de phrases de paragraphes apparemment interminables, testant la patience du lecteur vers ce que j’espérais être une sorte de récompense esthétique et non d’exaspération totale. Je sentais que si j’avais affaire à quelque chose de «labyrinthique», la langue que le roman devait suivre.

 
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 Athènes-labyrinthe. Source de photo: Athens Social Atlas.
 
On a également fait valoir que les écrivains grecs ont une préférence pour la forme courte et que les recueils de nouvelles ont dépassé les romans et les récits plus longs. Pourriez-vous faire des commentaires ?
 
Je pense que c’est une erreur totale, une notion qui a presque zéro crédibilité et de vérité. La forme courte est une écriture très complexe et exigeante, et elle a produit d’excellents ouvrages dans la littérature grecque, mais on peut en dire autant des romans, de Roidis à Kazantzakis – de renommée mondiale – en passant par Vassilikos et Tsirkas. Je crois qu’il est absurde de dire qu’une sorte d’écriture est plus intrinsèquement «grecque» par rapport aux autres et, honnêtement quant à moi, aussi tout à fait défaitiste.

“Je considère que le roman est l’un des moyens qui permettront à la Grèce d’entrer dans une région géographique  plus large et de communiquer avec les gens au-delà de ses frontières”. La nouvelle génération d’écritures grecques a-t-elle le potentiel d’attirer des lecteurs étrangers ?

L’acclamation internationale semble être un objectif perpétuellement insaisissable pour les écrivains grecs. Franchement, je n’ai pas de réponse fixe à cette question, à savoir si c’est une question de qualité (ou d’absence) ou de nature plus complexe, comme l’utilisation limitée de la langue grecque dans le monde, l’absence de programme de traduction par l’État, etc.  Je pense que, si je devais cerner un problème dans certaines parties de la fiction grecque, ce serait que, traditionnellement, les écrivains avaient tendance à ne pas l’utiliser comme but, comme un moyen de profiter de la narration en soi , mais comme un moyen, dans le cadre d’un agenda plus large, qu’il soit politique, national, social, etc. Je pense que nous avons besoin de «serviteurs de la fiction» vraiment fous et audacieux, dont la loyauté soit envers les grandes histoires et rien d’autre.

* Propos recueillis par Athina Rossoglou. Traduction par Nicole Stellos.

M.V.

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