Jimmy Jamar est chef de la Représentation de la Commission européenne en Belgique. Auteur de deux livres sur la Grèce, “Lettres à Byron – Réflexions sur la Grèce de toujours” (2014) et “Les larmes d’Ulysse – Le jour où la Grèce a failli quitter l’Europe” (2016), ainsi que créateur de l’association caritative et de l’événement culturel homonyme “12 Heures pour la Grèce” qui se tient depuis 2012 à Bruxelles, il est un philhellène convaincu, dont l’amour pour la Grèce ne s’est jamais démenti.

Ce haut fonctionnaire de l’UE, qui a toujours œuvré pour le rapprochement des citoyens avec l’Europe, n’a jamais cessé de s’intéresser à son pays de cœur. Soit par le biais romanesque des Lettres écrites à Lord Byron, où il livre une analyse du passé historique de la Grèce et de sa situation depuis le déclenchement de la crise financière, soit par l’action généreuse de son initiative “Fuel for Schools“, qui chaque hiver assure l’achat de fuel de chauffage pour les écoles du Nord de la Grèce, Jimmy Jamar est toujours au premier rang de ceux qui défendent avec réalisme la condition du peuple grec et de la Grèce. Pour lui, une sortie de la Grèce de l’espace européen, telle qu’elle a été envisagée par certains, aurait fait basculer l’Europe et le pays “qui lui a donné son mode de construction et qui a pour nom la démocratie”.

Outre son intérêt incontestable pour la Grèce, Jimmy Jamar est aussi un fervent Européen et un ardent défenseur de l’avenir de l’Union. Dans son livre “Pourquoi aimer l’Europe … maintenant“, publié en 2014, il tente de déterminer les causes de la désaffection des citoyens, en dressant des pistes de réflexion tant sur le futur du projet européen au milieu d’un euroscepticisme inquiétant que sur la manière de le communiquer. Il exhorte l’Europe à construire”un nouveau discours fondé sur le respect, l’écoute et la participation de ceux à qui le projet s’adresse”.

De même, par son dernier ouvrage “La Deuxième Chance – Chroniques Européennes 2016-2017“, il retrace les péripéties des deux dernières années (les attaques terroristes, le Brexit, la crise migratoire et la montée des populismes, mais aussi l’avènement d’Emmanuel Macron, le renforcement du couple franco-allemand, ainsi que l’ouverture d’un vaste débat sur l’avenir de l’Europe, initié par le Président de la Commission) pour marquer le retour de l’espoir une année avant les élections européennes de 2019.

Jimmy Jamar a accordé une interview au Bureau de Presse et de Communication de l’Ambassade de Grèce en Belgique*, à propos de ses pensées sur la Grèce et de sa vision de l’avenir de l’Union européenne.

En 2012, au milieu de la crise financière grecque et de la critique négative de l’Europe envers la Grèce et son peuple, vous avez décidé de créer ici à Bruxelles, dans la capitale de l’Europe, l’association “12 Heures pour la Grèce” visant à recueillir des fonds pour aider des associations en Grèce dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la lutte contre la pauvreté. Voulez-vous nous parler un peu de cette association qui est toujours active depuis 6 ans ? Quel est le bilan jusqu’à présent ? A-t-elle répondu à votre attente ? Aura-t-elle un avenir ?

JJ 12H PR GR

J’ai pris l’initiative de créer l’association sans but lucratif “12 Heures pour la Grèce” à la fin du terrible hiver 2011-2012, au moment où les conséquences de la crise grecque étaient sans doute les plus éprouvantes. Je me suis dit à cette époque qu’il ne suffisait pas de se présenter comme un ami de la Grèce. Il fallait aussi agir. L’association que j’ai créée en quelques semaines avait deux objectifs : d’une part, contribuer à améliorer l’image de la Grèce (qui était très dégradée à l’époque, pas tellement en Belgique, mais dans d’autres pays européens), et ce, à travers l’organisation d’évènements culturels ; et, d’autre part, collecter des fonds pour aider concrètement des associations en Grèce qui opèrent sur le terrain dans les domaines que vous avez cités. Au début, nous avons organisé des événements qui s’étendaient sur 12 heures (ou plus !), avec lecture publique de grands textes classiques (L’Iliade, L’Odyssée, La République de Platon), mais aussi des concerts, des spectacles de danse, du théâtre, sans oublier des expositions de peinture, de photos et, bien sûr, la gastronomie. En 2015, je me suis dit qu’au vu de l’immensité des problèmes en Grèce, il valait mieux se concentrer sur la collecte des fonds. Nous organisons donc chaque année un grand concert, qui nous permet de financer notre campagne “Fuel for Schools”, qui vise à acheter du fuel pour chauffer les écoles grecques du Nord du pays. Au total, nous avons pu récolter plus de 150.000 €. Rien que cet hiver, nous avons pu chauffer plus de 40 écoles, soit environ 6.000 enfants. Je suis donc extrêmement ému de la générosité qui s’est créée autour de ce projet. Vu la persistance des problèmes qui demeurent, nous allons continuer !

En Grèce et aussi dans les milieux grecs de Bruxelles vous êtes connu comme un “philhellène moderne.” Vous connaissez le sens de ce mot que les grecs utilisent depuis l’époque de Lord Byron pour désigner l’engagement des grandes personnalités étrangères pour la cause nationale de la Grèce. C’est une manière pour les grecs d’exprimer leur gratitude. En tant donc que philhellène moderne, que signifie la Grèce pour vous et quelle est sa cause nationale d’aujourd’hui ?

La Grèce fait partie de ma vie depuis un demi-siècle. C’est un pays pour lequel j’ai développé une affection profonde, avec ses qualités et ses défauts. J’y suis allé à près de 300 reprises, pour des raisons professionnelles ou familiales, et je peux dire, je pense, que je connais sa magnifique diversité. C’est un pays qui, pour moi, ne ressemble à aucun autre, en raison de sa beauté pure, de sa complexité, de la générosité et de l’hospitalité de ses habitants. Je voudrais un jour écrire un livre sur les Philhellènes, essayer de saisir le moment où ils font le passage, où ils se disent qu’il faut faire quelque chose pour défendre ce pays, par la littérature, la peinture, le théâtre, l’archéologie, mais aussi, à certains moments, par les armes ! Cette relation, je ne l’ai trouvée dans aucun autre pays du monde.

jj collage1

Que pensez-vous du peuple grec ? Est-ce que vous y voyez quelques qualités qui puissent l’aider à surmonter les difficultés du présent ? Est-ce que l’image de la Grèce est toujours celle que vous laissez émerger dans votre livre “Lettres à Byron” ?

A l’image de son pays, le Grec est un être éminemment complexe, avec des aspects extrêmement attachants, et parfois, des défauts qui interpellent. Les mêmes personnes sont capables d’actes de générosité extraordinaires, mais en même temps, je trouve ce peuple parfois très individualiste. Dans les gênes du Grec, je retrouve, très fortement marquées, les séquelles de l’histoire, et notamment des siècles d’occupation – cette situation a généré des qualités en matière de créativité, de débrouillardise, d’instinct de survie. En même temps, la société grecque est très divisée, particulièrement sur le plan politique, ce qui ne facilite pas toujours les choses quand il s’agit de créer des synergies. J’ai tenté de définir cette complexité dans les Lettres à Byron : j’entendais en effet trop de jugements à l’emporte-pièce, trop de caricatures, par des gens qui ne connaissaient pas forcément le pays : par définition, on ne peut juger un peuple que si on le connait, par son histoire, par sa diversité géographique, par sa culture. Face aux jugements, aux condamnations innombrables durant la période de crise, j’ai donc décidé d’écrire (et je continuerai à le faire).

Quelle est votre vision de l’avenir de l’Europe ? Pensez-vous que le projet européen est encore d’actualité ? Qu’est-ce que l’Union doit faire d’ici aux élections européennes de 2019 pour mieux gérer les crises qui se succèdent (économie, immigration, racisme, terrorisme, départ du Royaume Uni), pour regagner la confiance des citoyens et repousser les populismes, bref pour mériter “une deuxième chance” comme le disent explicitement le titre et le contenu de votre dernier livre qui vient de paraitre ?

Après le Brexit, beaucoup de personnes ont vu l’occasion de la fin de l’Europe : des partis politiques, extrêmes et populistes, ont éclos partout, avec comme seul point commun leur opposition à l’Europe. En même temps, la montée du populisme, et le retour fracassant de la géopolitique (Poutine, Erdogan, Trump) ont fait comprendre à de nombreux Européens qu’ils avaient leur destin en mains, et dans leurs mains seules ! Nous devons donc saisir cette deuxième chance qui nous est offerte : définir un nouveau et ambitieux projet politique (une Europe de la sécurité, de la défense, en même temps qu’une voix commune en matière de politique étrangère), et le communiquer aux gens : permettre, en d’autres termes, à partir d’une nouvelle dynamique pour le projet européen, de faire en sorte que les citoyens qui habitent ce continent deviennent davantage acteurs de leur destin commun. C’est sur cette détermination que nous serons jugés ; Il n’y a, selon moi, pas d’alternative.

Collage jj 2

*Propos recueillis par Panos Agrafiotis

TAGS: Europe | Grèce | Interview