Spyros I. Asdrachas (1933 –  11 décembre, 2017) a été l’une des figures les plus marquantes de l’historiographie grecque ayant laissé sa propre empreinte sur le champ de l’historiographie  dans les années qui suivent la dictature des colonels. Historien éminent de la Grèce post-byzantine, il se concentre sur l’histoire économique et sociale qui va du 15ème au 19ème siècle. Toutefois  l’étude des mécanismes économiques s’accompagne du souci pour  la théorie de l’histoire et le langage choisi par le savant.
 
  
De Céphalonie à Athènes et Paris : l’historien en tant que citoyen

Spyros Asdrachas est né à Argostoli (Céphalonie) en 1933 et il effectue ses études secondaires  à l’île de Lefkada. Il s’installe ensuite à Athènes pour faire ses études universitaires au Département d’histoire et d’archéologie. Boursier d’Etat grec, il obtient son doctorat en 1972 en France dans le domaine de l’histoire économique et sociale. Au cours de la période allant de 1974 à 1984, il est professeur à l’Université Paris-IV, à l’École des hautes études en sciences sociales et au Centre national français de la Recherche Scientifique (CNRS).

Émérite directeur de recherche à la Fondation Nationale de la Recherche Scientifique (EIE) et président d’honneur des Archives d’histoire sociale contemporaine (ASKI), Asdrachas est lié avec le cercle de K. Th. Dimaras et son école historiographique à Paris. De 1983 à 2005, il est co-directeur, avec Philipos Iliou et Vassilis Panagiotopoulos, de la revue Istorika.

A travers ses articles parus dans les multiples  revues scientifiques ainsi que dans la presse quotidienne, Asdrachas participe aux discussions autour des problématiques concernant la société grecque. Pour Asdrachas, la profession d’historien est étroitement associée à la société et doit contribuer aux questions posées dans la sphère socio-politique. En tant qu’historien, il se veut avant tout citoyen mais un citoyen historiquement défini.  Quant à ses choix épistémologiques, Asdrachas se tourne vers ceux qui font l’histoire et sont les acteurs sans voix, les «soldats inconnus». Il voit dans le récit historiographique un acte réversif dans la mesure où ce sont les anonymes, les oubliés, les opprimés qui prennent la parole.

Comme il précise dans l’un de ces derniers entretiens accordé à Enthemata Avgis, « l’historien est forcement  un homme politique au service d’un processus de rupture. »

Spyros Asdrachas parle aux historiens Antonis Liakos et Vagelis Karamanolakis, dans la série “Encounters with historians”  du projet de recherche « L’historiographie grecque au cours du 20eme siècle –La formation des études grecques modernes »

L’influence de l’école des Annales sur la « Nouvelle Histoire » grecque

On republie ici un extrait de “L’historiographie grecque moderne (1974-2000). L’ère de la tradition, de la dictature à la démocratie” par l’historien Antonis Liakos [Traduit de l’anglais par Christine Laferrière]

Dans les années qui suivirent la Dictature fut exprimée une exigence de réécriture de l’Histoire et de « renouveau » des études historiques. On assista à une osmose entre l’école des Lumières et le courant marxiste, en dépit de leurs différences notables à la fois en termes de schéma historique et de méthode. Ce phénomène donna lieu à ce qui fut appelé « Nouvelle Histoire », et dont les figures principales étaient Spiros Asdrachas, Philippos Iliou, Vassilis Panagiotopoulos, et Georges Dertilis. Il n’existait aucune définition claire de ce que signifiait précisément ou regroupait l’expression « Nouvelle Histoire ». Elle se définissait essentiellement en comparaison avec « l’histoire traditionnelle ». Si « l’histoire traditionnelle » se présentait comme faisant partie des Humanités, la « Nouvelle Histoire » se considérait au nombre des sciences sociales. Si la première se caractérisait en pratique par son seul intérêt pour les preuves historiques et sa sensibilité aux mythes historiques, la seconde s’intéressait à « l’histoire-problème », celle de l’individu moyen et celle de la société dans son ensemble. En bref, pour nombre de ceux qui débutèrent à cette époque (c’est-à-dire la génération de Mnimon), la « Nouvelle Histoire » signifiait Dimaras plus Svoronos, la revue des Annales plus le marxisme. […]

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L’empire ottoman, carte de G  De Jode, 1593.

Les textes théoriques exprimant l’esprit de la Nouvelle Histoire furent rédigés par Spyros Asdrachas [Zitimata Historias, Themelio, Athènes 1999] et Philippos Iliou [I ideologiki chrisi tis historias]. Ces textes renferment une théorie de l’histoire. Bien que cette théorie n’ait pas été codifiée, elle ne constitue pas une simple transposition de l’héritage des Annales en Grèce. Elle instaurait une tradition historiographique particulière, inscrite dans le courant plus vaste d’histoire sociale qui domina le champ international des études historiques entre 1960 et 1980.

Dans chaque pays, ce courant adopta une forme particulière, suivant le développement social et la tradition historiographique. En Grèce, cette histoire sociale fut retardée en raison des conditions politiques exceptionnelles. Tout ce qui touchait à l’histoire sociale était soupçonné de marxisme. Mais d’un autre côté, les abus commis par l’idéologie nationale grecque à l’égard de l’Histoire vinrent enrichir la « Nouvelle Histoire » d’une problématique concernant les utilisations normales et abusives de l’Histoire par l’idéologie.

En partant d’une conception holistique du phénomène historiographique, Asdrachas développa une théorie de la pratique de l’historien comprenant pour éléments actifs le sujet historicisant tout autant que l’objet historicisé. Selon cette conception, l’écriture de l’Histoire et la pratique sociale sont certes distinctes d’un point de vue analytique, mais elles sont cependant inscrites dans une totalité qui oblige à considérer l’Histoire comme une pratique sociale et culturelle. Cette analyse allait de pair avec la théorie de « l’usage idéologique de l’Histoire » qui la complétait (Iliou) et qui touchait à la façon dont la société grecque recevait et formait ses perceptions du passé. Dans le contexte de la libération par rapport à « l’usage idéologique de l’Histoire », les historiens de cette génération comprirent que leur tâche en matière d’historiographie consistait à débarrasser l’Histoire des « mythes idéologiques ». Cependant, avec une telle conception, le glissement vers le positivisme n’était pas rare. Cette tendance était soutenue par la peur opposée des recours abusifs à l’Histoire dans un environnement culturel plus vaste. En même temps, elle rendait difficile la réception de courants historiographiques liés au « tournant linguistique » et à la déconstruction des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix. Tant que la tâche des historiens consistait à sauver la réalité de l’idéologie, il leur était difficile d’accepter différentes versions de la réalité.
 Magdalini Varoucha | Grecehebdo.gr
 
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M.V.

 

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