Marie Elisabeth Ingres, chef de mission des Medecins sans Frontières en Grèce, repond aux questions de GrèceHebdo*. A noter que le département grec des MSFfête ses 25 ans en 2015. 
Selon les données disponibles, les flux migratoires en 2015 enregistrent leur plus grand nombre à l’échelle planétaire depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Plus particulièrement, le nombre des personnes arrivées par bateau en Europe via Grèce a déjà atteint environ 750.000 depuis le début de l’année, sans compter les vies humaines perdus en route. Votre campagne pour un  «passage en sécurité» vers l’UE consiste en quoi exactement?
Nos équipes qui travaillent en Italie et en Grèce, en Mer Méditerranée et en mer Egée sont témoins tous les jours de l’arrivée de personnes qui ont quitté leur pays, fui, et sont contraintes par les politiques actuelles de l’Union Européenne, à se tourner vers des réseaux de trafiquants et à risquer leur vie en mer pour trouver protection et sécurité. Depuis le mois de septembre, avec la détérioration des conditions météorologiques en Grèce, nos équipes à Lesbos, Kos et Leros doivent répondre à des naufrages toutes les semaines. 
Plus de 450 personnes sont mortes ou bien ont été portées disparues en mer Egée depuis septembre. Au mauvais temps se rajoutent des témoignages que nos équipes reçoivent depuis le mois de juillet concernant des incidents de violence en mer, décrivant parfois des hommes armés non–identifiés, parfois des hommes en uniforme grec. Nos patients nous décrivent comment ces personnes les ont approché pour se saisir du fuel de leur embarcation ou de leurs effets personnels, d’autres décrivent comment certains groupes ont tenté à partir de bateaux plus grands de percer leur embarcation ou bien les ont reconduit vers les eaux turques. Bien que nous ne soyons pas en mesure de confirmer la véracité de tels témoignages, nous en avons reçu suffisamment pour exprimer notre inquiétude auprès des autorités grecques. 
 
En novembre, Medecins sans Frontières a lancé un partenariat avec l’organisation Greenpeace pour des activités d’assistance en mer au Nord de l’ile de Lesbos. Nous nous apprêtons également à lancer un projet similaire dans le Dodécanèse à partir de l’ile de Leros. Bien que plus de moyens pour le sauvetage en mer soient nécessaires en mer Egée ainsi que la mise en place de patrouilles pro-actives, le sauvetage en mer n’est pas une solution en soi. Par «passage en sécurité» MSF n’entend pas la disparition des frontières mais l’organisation d’un passage et accès sûr qui permettrait aux réfugiés et migrants non seulement de rejoindre l’Union Européenne sans avoir à mettre leur vie et celle de leurs familles en danger, mais également de garantir une réponse à leurs besoins immédiats à leur arrivée, en termes d’hébergement, de nourriture, d’accès à des infrastructures d’hygiène, de besoins médicaux et d’accès à l’asile.
 
Quelles sont vos principales initiatives mises en place actuellement en Grèce pour les migrants?
 
En plus des activités d’assistance en mer mentionnées plus haut, MSF a lancé plusieursprojets en Grèce en 2014 et 2015, avec deux objectifs: de répondre aux besoins immédiats des refugiés et migrants qui arrivent tout en soutenant l’intervention des volontaires et communautés locales dans ce même domaine et de minimiser l’impact d’un tel influx de personnes sur les structures de santé locales. 
 
– A Athènes, MSF mène un projet pour venir en aide aux personnes victimes de torture et mauvais traitements depuis novembre 2014.
 
– Dans les iles, MSF intervient à Kos depuis mars dernier, Lesbos depuis juillet et Leros depuis septembre. Nous y proposons une assistance médicale aux réfugiés et migrants qui arrivent, ainsi qu’un soutien en santé mentale. Nos équipes logistiques quant à elles y distribuent des objets de première nécessité : kit hygiène, couvertures, tentes aux familles et aux personnes qui ont perdu leurs effets personnels en cours de route ; et sont en charge de la  construction et maintenance d’hébergement temporaire ainsi que d’infrastructures sanitaires. Nous avons également des équipes afin de fournir aux refugiés des informations clès à leur arrivée, non seulement concernant où ils se trouvent et les démarches administratives qui les attendent mais également sur les différents services à leur disposition dans les îles et à Athènes. A Lesbos, MSF opère également des bus afin de transporter les personnes arrivant sur les plages du Nord jusqu’à la ville de Mitilini, où elles seront enregistrées par les autorités, ainsi que 3 ambulances afin de référer les patients en état critique à l’hôpital de Mitilini.
 
– Au nord de la Grèce, à la frontière avec FYROM, MSF intervient depuis mars dans le village d’Idomeni en proposant une assistance médicale et psychologique. En septembre, face à un nombre de personnes traversant le village pour se rendre en Macédoine de plus en plus grand, nos équipes y ont construit un camp de transit pouvant offrir un hébergement temporaire et des infrastructures d’hygiène à plus de 1000 personnes.
 
– De mars à fin novembre, nos équipes ont mené en tout 34 459 consultations médicales, dont 16,6% avec des personnes vulnérables (enfants en dessous de 5 ans, personnes âgées, femmes enceintes, mineurs non-accompagnés). Sur la même période, nos psychologues ont mené 578 sessions individuelles et 1893 sessions de groupe, auxquelles 20 905 personnes ont participé.  

Qu’est-ce que l’État grec et les autres pays européens pourraient faire immédiatement afin de mieux répondre à la crise humanitaire liée à l’immigration?

Les standards de l’Union Européenne en termes de réception ne sont respectés dans aucune des iles grecques par les autorités nationales et locales: les personnes qui arrivent sont souvent forcées à dormir dehors, sans protection, sans accès assuré à  la nourriture. Les autorités n’ont non pas seulement augmenté pour le moment les capacités d’hébergement dans les îles mais même graduellement arrêté toute distribution de nourriture. Au cours de l’année, les communautés locales, les volontaires ainsi que les ONG comme MSF ont petit à petit dû palier de plus en plus à ces manquements, en substitution totale des responsabilités des autorités. Ceci cependant dans un contexte où les autorités ne nous proposent aucun soutien, afin de nous aider à identifier des espaces ou créer des structures temporaires de transit. Il est impératif que les autorités grecques, avec le soutien de l’Union Européenne et de ses Etats membres, prennent leurs responsabilités en mettant en place les standards minimum de réception pour accueillir humainement et décemment les personnes qui arrivent.  En termes de passage sûr et légal, ceci pourrait être organisé à la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie, en mettant en place un passage avec une réception décente des personnes, répondant à leurs besoins immédiats.
 
FotorCreated rodriguez
* Entretien accordé à Magdalini Varoucha

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