Enseignante de français, latin et grec ancien pendant trente-sept ans près de Montpellier et à présent retraitée de l’Education nationale, la professeur Simone Taillefer a souhaité faire partager ses périples dans la “Grèce profonde”, hors des sentiers battus, une Grèce ignorée peut-être même par ses propres habitants. Ainsi, Mme Taillefer convie tous les amateurs de cette Grèce sur son site www.greceignoree.com. Mme Taillefer a accepté de parler à Grèce Hebdo et partager ses experiences.
 
Au bout de trente-sept ans d’enseignement du grec ancien, vous prenez la décision d’étudier le grec moderne, ce qui vous conduit à deux Masters relatifs délivrés par l’Université Paul Valery. Quel rapport établissez-vous, entre le grec ancien et le grec moderne? 
 
Une des choses qui me fascinent le plus avec la Grèce c’est justement la langue. Ce peuple parle sans discontinuer depuis 3600 ans la plus vieille langue d’Europe et cela malgré le déferlement d’invasions et d’occupations qu’il a subies. Certes le grec moderne a un lien peu évident, aux yeux des non spécialistes, avec la langue des Mycéniens, mais avec le grec classique, que j’ai enseigné, la continuité est totale. Jacques Lacarrière donne le très bel exemple du verbe «χαροπαλεύω» (= agoniser) qui signifie exactement «lutter contre Charon», le passeur des Enfers: les Grecs ne font pas toujours le lien avec la mythologie quand ils emploient ce mot mais leur langue est irriguée par l’Antiquité. Je trouvais absurde de ne pouvoir parler avec les Grecs d’aujourd’hui et c’est de cette frustration qu’est née mon aventure, avec mon désir de connaître toute l’histoire et la civilisation de ce peuple jusqu’à nos jours et d’explorer le pays dans tous ses recoins. J’ai eu du mal au début avec le grec moderne et j’ai dû en quelque sorte oublier le grec ancien (surtout à l’oral avec le problème de la prononciation érasmienne), mais dans un deuxième temps la connaissance des structures, pour la grammaire et le vocabulaire, m’a donné un avantage certain. De plus, comme je devais visualiser les mots écrits quand je les entendais, surtout à cause du son «i» qui peut s’écrire de six façons différentes, je n’ai quasiment pas de problèmes d’orthographe. En revanche la place de l’accent tonique continue à me donner des cauchemars! N’oublions pas non plus que le français comprend environ dix mille mots d’origine grecque. 
En quoi consiste-t-elle la Grèce méconnue, dont vous parlez dans votre site? 
 
La Grèce ignorée, pour moi, c’est celle où les touristes étrangers ne vont jamais où très rarement. Ce sont parfois des régions connues presque seulement des Grecs, comme le Pélion ou les Zagorochoria ou bien des petits sites qu’ils ignorent souvent eux aussi comme Orrhaon, Œniades ou Mikri Doxipara. Cela change peu à peu pour les étrangers et certains découvrent les régions citées ou bien ils vont à Tinos ou Karpathos au lieu de s’empiler à Mykonos, Santorin et Corfou. Les touristes visitent très peu la Macédoine et encore moins la Thrace (je n’en ai pas vu un seul en trois semaines en octobre 2010, sauf sur le bateau qui croisait au large du mont Athos) comme si la Grèce ne pouvait avoir un nord au être au nord! Pour la grande majorité d’entre eux toutes les maisons en Grèce sont des cubes blancs aux volets bleus. 
 
Quel est l’accueil de votre site parmi les lecteurs?
Je n’ai pas eu beaucoup de retours de la part des Français, mais ils venaient de gens qui s’intéressaient déjà à ce pays et voulaient sortir des sentiers battus. Je pense qu’ici les gens sont blasés et ne lisent plus guère, ils regardent rapidement les photos sans lire les textes et ne

comprennent donc pas forcément ce que j’ai voulu faire. En revanche mon site reçoit un accueil enthousiaste auprès des Grecs depuis que j’ai traduit mes textes pour eux et ils me remercient de ce que je fais et dis sur eux et leur pays. Un regard bienveillant (ce qui n’exclut pas la lucidité) fait du bien je crois quand tout va mal.

 
Vous venez de rentrer d’un voyage de quatre semaines en Grèce. Quel coin vous avez exploré cette fois et quelles impressions vous en retenez? 
 
A présent que j’ai fini mon exploration systématique de toute la Grèce, ce qui a occupé dix voyages, je retourne dans les régions que j’ai préférées pour des visites plus en profondeur. En octobre je suis retournée dans l’est du Péloponnèse (Nauplie, Léonidion et Monemvassia que je connaissais déjà) en y ajoutant Poros, Hydra, Spetses et Cythère ainsi que Tripoli et ses environs que je découvrais. Suite à ce voyage je vais ajouter deux textes à mon site: «Le monastère de Léonidion» et «L’embarquement pour Cythère». Certains d’ailleurs m’ont reproché d’avoir écrit quelques textes sur des lieux très connus comme Mykonos, Corfou ou Cythère cette fois-ci, mais c’est pour raconter des situations ou des rencontres à «contre-emploi» et qui cassent les clichés sur ces lieux.
 
Interview accordée à Georgia Marioli

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