André Cartapanis, professeur d’économie et de Finances Internationales à Sciences Po à Aix-en Provence et Doyen honoraire de la Faculté des Sciences Économiques d’Aix-Marseille, a donné une conférence à l’Institut français de Grèce lundi dernier, sur le rôle de la gouvernance économique dans la zone euro, avant et après la crise. A cette occasion, il a répondu aux questions du GrèceHebdo : 
 
 • Le traité de Lisbonne n’a pas favorisé le terrain de la gouvernance économique. Α quel point la crise -particulièrement ressentie dans les pays de l’Europe du Sud -a contribué au changement d’orientations économiques européennes? 
 
La crise de la zone euro, qui est une crise de l’endettement souverain de plusieurs pays du Sud de l’Europe, a nécessité un vaste ensemble de nouvelles politiques économiques : sauvetages des Etats, refinancement des banques, politiques monétaires non-conventionnelles de la part de la BCE. Mais elle a surtout conduit à une généralisation des politiques d’ajustement budgétaire, au Sud comme au Nord de la zone euro, dont l’ampleur et le rythme beaucoup trop rapide ont provoqué une récession. De plus, les autorités européennes et les responsables de la zone euro ont complété l’union monétaire en créant l’union bancaire qui confie désormais à la BCE la supervision prudentielle des grandes banques et en durcissant la surveillance des situations budgétaires des pays-membres, non pas ex-post, mais ex-ante, sous l’autorité de la Commission. L’idée était à la fois de gérer la crise et de construire une nouvelle architecture monétaire et financière permettant d’éviter, dans l’avenir, le déclenchement de nouvelles crises. Ce que le Traité de Lisbonne n’était pas parvenu à construire, la crise l’a imposé! 
 
 • Comment jugez-vous la politique européenne envers la crise grecque? A votre avis, la survie de la zone euro reste toujours menacée? 
Le soutien apporté à la Grèce a été beaucoup trop tardif et la crise de la dette grecque, du coup, s’est beaucoup aggravée (hausse des taux d’intérêt et de l’endettement rapporté au PIB et contagion vers les banques et vers d’autres pays membres). A cause des atermoiements et des hésitations de la BCE, de la Commission, du Conseil européen, on a ainsi transformé une crise locale en crise systémique. Au-delà des coûts d’ajustement imposés à la population en Grèce, le défaut de gouvernance d’une zone euro en crise a laissé craindre un risque de démantèlement de la zone euro qui paraît aujourd’hui maîtrisé, surtout avec la nouvelle politique de la BCE, depuis l’été 2012, qui s’est engagée à racheter des bons du Trésor en cas de nouvelle attaque spéculative. C’est ce qui paraît de nature à assurer la survie de la zone euro, mais sans garantir pour autant le retour de la croissance.
 
 • Pourquoi ce décalage frappant entre la mondialisation toujours triomphante et l’absence d’une gouvernance globale? 
Il y a aujourd’hui un véritable déficit de gouvernance globale dont témoignent le maintien d’énormes déséquilibres de balances des paiements courants (surtout entre les USA et l’Asie), les menaces de guerre des monnaies, l’incapacité du G20 à déboucher sur une stratégie coordonnée de sortie de crise. Le problème n’est pas économique, mais politique : ni les Etats-Unis, ni la Chine, ni même l’Union européenne ne sont prêts à s’engager dans de nouvelles règles internationales et aucun pays n’est capable de l’imposer aux autres pays. La globalisation des marchés s’accompagne d’une dispersion des pouvoirs entre les anciennes grandes puissances et les nouveaux global players que sont les émergents comme la Chine, la Russie ou le Brésil! On voit mal comment les choses pourraient évoluer à court ou moyen terme sur le plan politique. Le seul espoir se situe dans une coordination accrue des politiques monétaires et des politiques prudentielles des banques centrales, moins sujettes que les gouvernements à la défense étroite des intérêts particuliers et dont l’expérience en matière de coopération internationale est déjà effective.
 
Entretien accordé à Costas Mavroidis

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