Depuis le début de la crise grecque, les médias européens ne cessent de donner leur avis sur la situation actuelle du pays et sur les raisons pour lesquelles le peuple en est arrivé là. Ce qui en ressort est en majorité négatif surtout de la part de l’Allemagne et d’autres pays du nord qui estiment que si la Grèce est en faillite, elle ne peut en vouloir qu’à elle-même. En effet, il est reproché aux habitants de la Grèce, comme à d’autres peuples des pays du sud, de ne pas assez travailler. La chaleur, les vacances, la plage, les sorties… il est vrai que la première chose qui nous vient à l’idée c’est la célèbre pub de Pulco : « il fait trop chaud pour travailler ! ». Cependant, ce préjugé que les pays de l’Europe ont sur la Grèce a été balayé d’un revers de main suite à un rapport de l’OCDE datant de 2014 dans lequel nous pouvons voir que les Grecs  sont les 3èmes à travailler le plus d’heures en Europe. De plus, les statistiques d’Eurostat datant de 2015 concernant « le nombre d’heures travaillées par semaine des personnes ayant un emploi à plein temps » montrent que les Grecs, en 2015, travaillent 44.5 heures par semaine.

Néanmoins, un débat persiste puisque concernant le taux de productivité des pays de l’Union européenne, la Grèce rencontre des difficultés. Alors certains défendent le pays en appuyant leur vision avec les chiffres publiés par l’OCDE et d’autres clament que ces statistiques n’ont aucune valeur puisque passer dix heures au travail ne veut pas pour autant dire que l’on a été efficace et productif. D’ ailleurs, la Grèce sera confrontée en automne prochain à une nouvelle négociation avec ses crénciers concernant les réformes du monde du travail  et les décisions prises seront importantes pour l’ensemble des pays de l’Union européenne.

Malgré la crise financière, le secteur touristique reste un  secteur particulièrement productif en Grèce et le nombre des touristes ne cesse d’augmenter. En effet, selon l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme), l’été2016 sera fructueux pour le pays qui attend de nombreux étrangers.  On a donc décidé, en plein mois de juillet, d’aller à la rencontre de certains Grecs exerçant tous des métiers différents mais en lien avec le tourisme. Des kiosques aux restaurants, en passant par des magasins touristiques, des boulangeries, des cafés ainsi que des taxis, certains ont accepté de nous répondre. L’enquête que nous avons menée n’a rien de scientifique. Ιl s’agit simplement d’un petit témoignage de quelqu’ un qui vient de France en Grèce pour quelques semaines et veut saisir les rythmes de travail dans un pays en crise. Nos questions portent principalement sur leurs horaires d’ouverture et de fermeture, le nombre d’heures de travail accompli par ces travailleurs, le nombre de jours où  ils exercent, leur possibilité ou non de prendre des jours de repos, le fonctionnement de l’ensemble du personnel et leur opinion en ce qui concerne la permanence dans la fonction publique. Cette dernière question relève du sujet de l’  «automatisme social’’ dans la mesure où la précarité devient de plus en plus la réalité dominante. Les réponses que nous avons récoltées nous ont parfois surprises mais elles nous ont surtout permises de nous faire une idée sur ce cliché tenace.

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Parmi les réponses qui nous ont surprises, il y a celles des chauffeurs de taxi. Nous avons eu l’occasion de pouvoir discuter avec trois d’entre eux et  le premier que nous avons interrogé nous affirme travailler au moins 12 heures par jour. En effet, en une journée il effectue environ 30 courses. Lorsqu’on lui demande s’il peut prendre des jours de congés, il nous répond très clairement que : « si tu ne veux pas devoir de l’argent alors non, tu ne prends même pas une journée ». Pour ce qui est de la permanence dans la fonction publique, lui ainsi que les deux autres taxis sont contre. Travaillant à son compte, il nous a par la suite déclaré que selon lui il était mieux d’être salarié, cela lui permettrait au moins d’avoir ses week-ends. Pour finir, il s’est confié à nous en nous faisant part de son point de vue concernant la productivité de son travail depuis la crise. Il déclare que : «  la psychologie des gens joue un rôle important dans le travail ». En effet, dès que quelque chose de nouveau se passe au sein du gouvernement, il a remarqué que cela avait des conséquences sur la population et donc sur l’efficacité de son travail. Les deux autres taxis que nous avons interrogés ont été moins bavards mais ont tout de même accepté de répondre à nos questions. Eux aussi travaillent entre 12 et 13 heures par jour et effectuent entre 15 et 20 courses. En ce qui concerne les jours de repos, ils n’en prennent aucun. L’un des deux chauffeurs affirme que : « nous pouvons en prendre mais nous ne le faisons pas », ce qui rejoint le discours du premier chauffeur de taxi que nous avons interrogé. Ils déclarent aussi voir la différence entre la quantité de travail qu’il y a en été et celle qu’il y a en hiver. En effet, ils affirment faire plus de courses l’été.

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Nous avons trouvé cela intéressant de poursuivre notre enquête en se dirigeant vers les kiosques, appelés « periptera ». En effet, ces petites maisonnettes abritant toutes sortes de choses nous donnent l’impression d’être ouvertes 24/24 et 7/7 pour assouvir les besoins de chacun. Nous avons appris que ces kiosques fermaient tout de même mais parmi les deux premiers que nous avons interrogés, à quelques pas l’un de l’autre, les horaires d’ouverture et de fermeture divergent. En effet, l’un ouvre à 6h30 du matin et ferme à 22h le soir alors que l’autre ouvre à 8h du matin et ferme à minuit, ce qui permet d’avoir une continuité de l’aube jusque tard dans la nuit. Les deux points en commun qu’ils ont pour la majorité d’entre eux sont tout d’abord le fait qu’ils soient fermés un jour dans la semaine, ce dernier étant le dimanche et pour finir, que ce soit la seule et même personne qui soit en charge de s’occuper du kiosque de l’ouverture à la fermeture et ce chaque jour ce qui est assez impressionnant. Pour élargir notre enquête, nous nous sommes aussi dirigés dans un autre quartier et les réponses des deux « periptera » que nous avons interrogés là-bas étaient diffèrents. En effet, les deux sont ouverts le dimanche contrairement aux « periptera » précédents. L’un ouvre à 7h du matin et ferme à 17h avec une seule et même personne y travaillant, et l’autre ouvre à 6h30 du matin jusque minuit le soir. Ce dernier kiosque est tenu par deux personnes et le roulement se fait de 6h30 à 15h30 pour la première personne puis de 15h30 à minuit pour la seconde. En règle générale, trois de ces « periptera » sur quatre déclarent être contre la permanence dans la fonction publique. En dehors de la saison touristique, ces petits commerces pratiques gardent tous les mêmes horaires pour le plus grand bonheur des habitants.

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Par la suite, nous avons jugé intéressant de mener notre enquête  du côté des « souvlatzidika » qui attirent beaucoup de touristes souhaitant goûter la spécialité typiquement grecque, le « souvlaki ». Le propriétaire d’un de ces restaurants a accepté de répondre à certaines de nos questions. Situé au milieu de deux concurrents, le souvlatzidiko « Savas » ouvre ses portes à 8h du matin et les ferme à 3h du matin avec un personnel composé de 25 hommes. Parmi ces 25 hommes, certains travaillent dès l’ouverture en attendant que les autres prennent la relève jusqu’à la fermeture. Un roulement du personnel est mis en place chaque semaine pour que les salariés du « matin » deviennent salariés du « soir » la semaine suivante. Même si comme l’a déclaré le propriétaire « nous ne nous arrêtons pas de travailler », il est important pour eux de se permettre de prendre une journée de repos dans la semaine. En ce qui concerne la permanence dans la fonction publique, le propriétaire nous affirme qu’il est contre.

En continuant notre chemin, nous nous sommes arrêtés à la hauteur des magasins touristiques, intrigués de savoir comment ils fonctionnaient. Parmi les trois boutiques où nous nous sommes arrêtés l’une est ouverte de 8h30 à 22h, une autre de 10h à 21h et la dernière de 8h à 21h. Dans ces trois commerces, pas plus de deux personnes y travaillent. Etonnement,  ils ne sont non pas seulement ouverts l’été durant la saison touristique mais toute l’année à l’exception de Noël. Bien entendu, les horaires d’hiver sont moins importants que ceux d’été qui commencent dès le mois de mars. Pour certains, les jours de repos n’existent pas comme cela est le cas pour la propriétaire d’un magasin de sacs qui est présente tous les jours avec une salariée, elle ayant un jour de repos par semaine. Pour d’autres, comme cette dame propriétaire et sans salarié : « il existe différents moyens de se reposer ». En effet, cette dernière nous affirme qu’elle est présente chaque jour mais qu’il peut lui arriver de souffler une heure par ci ou une heure par là en faisant prendre le relais à des membres de sa famille comme cela est souvent le cas pour les propriétaires des boutiques. Au sujet de son opinion concernant la permanence dans la fonction publique, elle nous répond de manière très synthétique qu’elle est contre mais que : « si tu n’as pas de contrôle… ». Pour ce qui est des deux autres boutiques, l’une nous a répondu qu’elle était contre et l’autre n’a pas voulue poursuivre l’interview. 

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Afin d’avoir un support plus important et une vision plus générale de notre enquête, nous avons décidé de nous ouvrir vers l’extérieur, c’est-à-dire vers les îles grecques, connues pour avoir un succès fou auprès des vacanciers. Parmi ces îles nous avons choisi Santorin, qui abrite un « zaxaroplasteio » nommé « Zotos Café ». Ce commerce ouvre ses portes à 8h le matin jusque minuit et demi le soir avec trois salariés ainsi que le propriétaire. Le roulement se fait avec deux personnes le « matin » qui travaillent de l’ouverture du commerce jusqu’à ce que les deux autres personnes prennent le relais le « soir » jusquà la fermeture. En dehors de la saison touristique, le « Zotos Cafe » est ouvert de 8h du matin jusqu’ à 22h le soir ce qui reste assez tard, surtout pour une boulangerie. Le personnel ne peut pas se permettre de prendre des jours de repos, le commerce étant ouvert tous les jours de la semaine. La fille du propriétaire à qui nous avons posé les questions, Marilena,  nous affirme être personnellement pour la permanence dans la fonction publique.

mag1La dernière île que nous avons choisi est la Crête, ou se trouve le traditionnel « Kafetzina ». Tzina, la propriétaire, ouvre le matin à 8h et n’a pas d’horaire de fermeture puisque son commerce reste ouvert jusqu’à ce que le dernier client soit parti. Pour l’aider, elle a 2 personnes avec elle et le roulement se fait ainsi pour le matin et pour le soir. Son café est ouvert tous les jours de la semaine et il est très compliqué pour elle d’espérer prendre une journée de congés. En dehors de la saison touristique, son café ouvre à 8h du matin et ferme à 21h. Lorsque nous lui avons demandé si elle était pour ou contre la permanence dans la fonction publique, Tzina nous a répond qu’elle n’était pas pour parce que selon elle : « nous devrions renouveler la position de chaque personne dans le domaine du travail pour que ces derniers estiment avoir un emploi et ne se complaisent pas. »

Après avoir mené cette enquête et récolté ces réponses, nous pouvons nous faire une idée plus réaliste de la chose. Bien que le débat reste ouvert, il est important de noter que la plupart des métiers en Grèce, et surtout dans le domaine du tourisme, demande une disponibilité et une importante volonté de la part des travailleurs qui sont présents le plus d’heures possibles pendant une longue saison touristique (mars / octobre) mais aussi durant tout le reste de l’année à une échelle plus ou moins différente. Précarité donc et même absence de régles uniformes et valables pour tous au cours de cette précarité. Manque de régularité des conditions de travail, heures supplémentaires à l’ordre du jour et au fond la conviction pessimiste que même comme ça, c’est mieux par rapport au chômage.  Comment peut-on donc parler des “grecs feignants” dans un pays où la crise pousse les gens à accepter le travail offert à n’importe quelles conditions? Dans un pays qui continue à être le premier pour ce qui est de son taux de chômage?

Article écrit par Magdaléna Kokonezis 

 

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