
Eleni Stathopoulou (1914-2016) est née le 5 mai 1914 à Athènes dans une famille aisée qui possédait l’un des plus grands ateliers de fabrication d’instruments de musique d’Athènes. En juin 1934 elle est admise à l’École supérieure des beaux-arts où elle suit les cours de l’atelier de Spyros Vikatos. Pendant ses études, Stathopoulou participe aux expositions organisées par l’Association des étudiants de l’École supérieure des beaux-arts.
Les études à Athènes
La première exposition de l’Association se tient à l’été 1936 dans la salle du « Parnasse » à Athènes où la jeune femme expose entre autres le tableau Fille avec un ruban dans les cheveux, dans lequel on perçoit la forte influence de son professeur, Spyros Vikatos. En 1937, Stathopoulou rejoint l’atelier d’Umbertos Argyros. Ses œuvres du milieu à la fin des années 1930 témoignent de son lent passage d’une expression académique à une approche de plus en plus moderne.

La peintre tente également de représenter visuellement certains événements de l’Occupation allemande au cours de la seconde guerre mondiale. Elle réalise principalement des dessins et travaille de manière réaliste, sans pour autant rejeter l’allégorie, comme en témoignent ses compositions représentant la Grèce enchaînée ou la Famine personnifiée, tenant une faucille.

Stathopoulou termine ses études à l’École des beaux-arts en juin 1938. Parmi ses camarades de classe figurent notamment Nikos Nikolaou et Yannis Moralis. À l’École, elle fait également la connaissance de Tassos Alevisos, Loukia Mangiorou, Vasso Katraki, mais aussi de Memos (Agamemnon) Makris, avec qui elle entretiendra une relation amoureuse pendant de nombreuses années.
Le voyage à Paris avec le fameux « Mataroa »
En 1945, à l’initiative du directeur de l’Institut français d’Athènes, Octave Merlier, les bourses d’études de l’État français qui avaient été perdues pendant la guerre et l’Occupation sont réattribuées. Makris est l’un des artistes qui reçoivent une bourse et Stathopoulou décide de le suivre à Paris en prenant en charge ses propres frais. Le 21 décembre, le navire « Mataroa » arrive au Pirée pour transporter les boursiers grecs à Tarente. De là, les voyageurs poursuivent leur voyage en train et arrivent finalement à Paris à minuit le 28 décembre 1945.
Il apparaît clairement que, quand Stathopoulou est arrivée à Paris, elle n’avait pas encore trouvé son style. Elle expérimente davantage, essayant de combiner la culture académique avec les influences modernistes, le réalisme social et politique avec l’allégorie poétique, se montrant indécise quant à la voie à suivre. En ce sens, sa décision de suivre Makris à Paris afin de poursuivre ses études sera déterminante pour son évolution future.

Elle s’installe à la Cité universitaire américaine. Elle étudie la peinture dans l’atelier d’André Lhote, un professeur important, dans l’école duquel se réunissent des étudiants de toute l’Europe, tandis que le soir, elle étudie l’art du nu à l’Académie de la Grande Chaumière.

En mai 1947, Stathopoulou participe à une exposition collective d’étudiants-artistes grecs au Pavillon grec du Campus universitaire. L’enseignement de Lhot est si profond, si révolutionnaire, et la transition de Stathopoulou vers un mode d’expression qui suppose une connaissance approfondie et fructueuse du modernisme européen est si rapide, qu’on peut parler d’une peintre « différente ».
Le passage progressif au cubisme
Stathopoulou apprend le nouveau langage cubiste en utilisant principalement le corps humain et les objets et elle applique les acquis de l’atelier aux vues de la ville, aux parcs et aux paysages de la banlieue parisienne. Très vite, elle s’exprime dans un style radicalement différent et incontestablement moderniste. Force est de constater que la création artistique de Stathopoulou se divise essentiellement en deux grandes périodes : celle qui précède son déménagement à Paris et celle qui suit son expérience parisienne.

Bien que Stathopoulou soit restée trois ans et demi dans la capitale française, jusqu’en 1949, on voit clairement dans ses tableaux, ses temperas, ses aquarelles et ses dessins le changement de son style, son passage progressif au cubisme, l’assimilation de nouvelles façons d’appréhender le sujet et de le représenter. Pourtant ses nus impressionnants qui rappellent Montillani ou Matisse ne renvoient pas tant au cubisme austère de Picasso ou de Braque qu’à la peinture géométrique et colorée d’André Lhote.

Les œuvres parisiennes de Stathopoulou révèlent la manière dont le cubisme devient pour elle une nouvelle méthode de représentation du monde visible. C’est peut-être là le « bagage » le plus important que la peintre ramènera à Athènes, soigneusement conservé parmi ses nombreux dessins et toiles.
Le retour en Grèce
À son retour en Grèce en 1949, après sa séparation avec Memos Makris, Stathopoulou devint membre du groupe artistique avant-gardiste « Armos » fondé par des artistes qu’elle avait connus à l’École des beaux-arts à Athènes et notamment Nikos Hadjikyriakos-Ghika, Nikos Nikolaou, Yannis Moralis, Yannis Tsarouchis, Klearchos Loukopoulos, Lili Arlioti et d’autres. En décembre 1949, ils organisent leur première exposition au Zappeion et Stathopoulou y participe avec onze œuvres. Au cours des premières décennies de l’après-guerre, Stathopoulou contribua par son œuvre au tournant de l’art grec moderne vers l’abstraction et au rapprochement des artistes grecs avec l’avant-garde artistique internationale.

À partir du début des années 1950, il apparaît clairement que la maturité de Stathopoulou est liée à son orientation vers la représentation des îles de la mer Égée. Tout au long de cette période, la peintre voyage à Égine, à Hydra (les vues de ces îles dominent son œuvre vers 1950-52), Skopelos, Chios, mais c’est le paysage de Patmos, d’abord, puis de Santorin, qui la séduit particulièrement et la conduit à changer de direction.
L’influence de Yannis Mitarakis, avec lequel elle travaille à Santorin en 1954, semble également importante. Dans les œuvres de Stathopoulou de cette époque, on est frappé par la conception de plus en plus abstraite du paysage, parallèlement à la représentation libre des montagnes, des maisons, des bateaux, l’accent étant mis sur les éléments structurels de la composition.

En 1955, elle fait également partie des artistes sélectionnés pour représenter la Grèce lors de sa première participation à la première Biennale d’Alexandrie. En mai 1957, une exposition de l’Association artistique des femmes grecques est inaugurée à la galerie Zygos, où la peintre présente son huile sur toile intitulée Les nageurs. Dès lors et jusqu’en 1968, Stathopoulou participe régulièrement aux expositions de l’Association.

En décembre 1958, Stathopoulou participe à une exposition collective à l’Institut français avec des artistes tels que Yanna Persaki, Kostas Koulentianos, Giorgos et Eleni Zongolopoulou, Alekos Kontopoulos, etc., et où sont principalement présentées les tendances abstraites. Stathopoulou expose notamment trois œuvres (Marine, Topéo et Synthèse) qui montrent comment la culture cubiste, à travers son engagement avec le paysage cycladique, se transforme en rythme géométrique avec une alternance de formes chromatiques pures.

Suite à son importante activité expositive en 1959, elle est choisie pour représenter la Grèce à la Ve Biennale de São Paulo, aux côtés d’A. Asteriadis, T. Eleftheriadis, Fr. Efthymiadis-Menegakis, Kl. Loukopoulos, K. Grammatopoulos et d’autres. En octobre 1960, elle participe à la VIe Exposition artistique panhellénique, au Zappeion. En fait, après son retour de France, Stathopoulou participera à toutes les expositions panhelléniques, un choix qui montre l’importance qu’elle accordait à cette institution.

De l’abstraction géométrique à l’expressionnisme abstrait
Le tournant de Stathopoulou vers la peinture non figurative n’est pas un choix « à la mode », mais l’aboutissement d’une longue maturation. Après 1960, sa production picturale diminue. Au même moment, Stathopoulou revient avec une énergie renouvelée au dessin et aux matériaux légers. Elle commence alors, peu à peu, à abandonner l’abstraction géométrique pour se tourner vers l’expressionnisme abstrait, en mettant l’accent sur le geste, l’autonomie du matériau, l’appropriation de procédés tels que les coulures de peinture, les taches, les lignes dures tracées avec intensité sur le papier, c’est-à-dire un jeu plus général de flux et de mouvement avec des matériaux fluides tels que l’encre et l’aquarelle.
En 1965, Stathopoulou achète une maison à Ano Petali (à Artemonas) sur l’île de Sifnos. Elle passe désormais ses étés dans cette maison, travaillant sans relâche – avec des techniques telles que l’aquarelle, la tempera, l’encre – et étudiant le paysage de l’île, qui domine son œuvre tardive. À Sifnos, Stathopoulou retrouve le plaisir de dessiner, réalisant un nombre impressionnant de dessins, d’études et d’esquisses, qui rappellent, en termes de production, sa période parisienne antérieure, plus laborieuse. En substance, Stathopoulou se concentre sur deux thèmes, le premier étant celui des collines douces alors que le deuxième grand thème qui l’intéresse est la représentation des champs-patchwork qui s’étendent comme une mosaïque multicolore aux formes géométriques et aux couleurs vives et claires.

Stathopoulou a également enseigné le dessin libre et le dessin décoratif à l’École publique de décoration Papastrateio de 1955 jusqu’à sa retraite en 1972. En novembre 1978, elle a réalisé sa première et dernière exposition individuelle à l’Institut français d’Athènes avec des tempera et des dessins de Sifnos.
Stathopoulou continue de participer à des expositions collectives, mais elle commence progressivement à prendre ses distances avec le monde artistique. Dans les années 1980 elle s’intéresse plus que jamais à l’échelle monumentale. Comme si elle voulait donner, avec les dernières forces de sa créativité, de grandes œuvres qui constitueraient son héritage artistique. De grandes compositions, issues de son contact avec la topographie de Sifnos, datent de cette période, comme la Grande Victoire de la République, une toile monumentale de près de deux mètres de haut où trône au centre une figure féminine couronnée de laurier.

Mais son œuvre la plus impressionnante, qu’elle expose régulièrement (à la Panhellénique de 1987 et dans une exposition collective à la Pinacothèque Pieridis en 2001), est sans aucun doute le triptyque intitulé Vent, une composition abstraite de trois mètres de long. Le Vent repose sur le dialogue chromatique entre les surfaces rouges et bleues, dans un jeu où l’intensité du trait s’est apaisée au profit d’un rythme dansant, déterminé par la montée et la descente des bandes rouges qui unifient toute la surface abstraite.

La première exposition rétrospective d’Eleni Stathopoulou intitulée « La géométrie des couleurs » a été présentée par la Bibliothèque nationale de Grèce en mai 2021 quelques années après sa mort à Athènes en 2016. Une version numérique de cette exposition est disponible se composant des cinq thèmes : « Athènes : des premiers pas à la période de l’Occupation », « Les années parisiennes (1946-1949) », « Transformer les valeurs du paysage cycladique en éléments géométriques (1950-1965) », « Le paysage de Sifnos comme champ d’étude (1965-1980) », « Les années 1980 : un langage mature et monumental » et vise à donner au public une image globale de l’œuvre picturale de la peintre.
Source principale : Bibliothèque nationale de Grèce – Eleni Stathopoulou
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