Les études grecques modernes (ou néohelléniques) affichent une longue présence en Belgique et en Suisse, deux pays qui, leur diversité linguistique mise à part, présentent aussi des trajectoires historiques particulières. Il importe alors ici de localiser la dynamique de chaque cas et d’essayer de mettre en relief les différentes modalités d’appropriation qui ont permis à chaque société – et communauté – de constituer la Grèce moderne, sa langue, son histoire et sa culture en tant qu’objets d’étude et d’intérêt académiques distincts.

Le cas belge

Comme souligné par Constantin Bobas, les institutions universitaires de la Belgique reflètent la diversité politique et culturelle dont cet État-nation fut le produit. Les études grecques classiques affichent une présence importante dès 1517 au Collegium Trilinguae à Louvain, qui se constituera en centre majeur pour les études classiques et byzantines en Europe de l’Ouest. Par rapport au cas italien, où l’Humanisme antiquisant avait fait son apparition au 15ème siècle, c’est dans les deux premières décennies du 16ème siècle que l’Humanisme s’implante au Nord-Ouest Européen. Les conflits théologiques et politiques suivant la Réforme (et la contre-Réforme) au 16ème siècle, ainsi que la concurrence entre institutions étatiques et religieuses (catholiques) dans les siècles à venir auront pour effet la création d’un nombre considérable de chaires de grec ancien, mais aussi le développement des études byzantines dès le 17ème siècle (Bobas 2007).

Josse van der Baren View of Leuven from LovaniumVue de Louvain (gravure) par Josse van der Baren, 1605 (Source: Wikimedia Commons) 

Ce substrat important peut nous aider à comprendre la dissémination des soi-disant « humanités anciennes » dans le secondaire tout au long du 19ème siècle, ainsi que la consolidation beaucoup plus ultérieure des études grecques modernes en Belgique. Ce fut d’ailleurs le byzantinologue Henri Grégoire qui a produit les premières études dans le domaine de la littérature grecque moderne, en plaidoyant entre autres, publiquement pour l’ « utilité et le charme du grec moderne » (Grégoire 1938).

En ce sens, les études grecques modernes semblent n’avoir pu se constituer en domaine relativement autonome que dans la période de l’après guerre. Comme le remarque Constantin Bobas (2007), ce sont les Universités francophones de Louvain (Université Catholique), de Liège et de Bruxelles (Université Libre) qui affichaient une activité de recherche et d’enseignement distincte dans le domaine des études grecques modernes, surtout du point de vue de la linguistique et de la littérature, mais aussi avec des programmes de culture générale, tandis que la position particulière de la Belgique au sein d’institutions internationales et européennes (OTAN, UE) avait aussi conduit à l’introduction de l’enseignement du grec moderne dans des institutions de traduction spécialisées (voir aussi Les Etudes Néo-helléniques dans les Universités francophones 2008). À noter la création en 1986 de la « Société Belge des Études Néo-helléniques ».

Le cas suisse

La Suisse affiche une trajectoire différente, quant aux développements théologiques et politiques sur le territoire helvétique. Comme souligné par Constantin Bobas, les études grecques classiques ont connu un essor considérable grâce au mouvement de l’Humanisme du 16ème siècle, mais plutôt dans le cadre d’institutions protestantes réformatrices (Bobas 2007). Le grec moderne a connu très tôt une réception positive en Suisse, spécialement à Genève, qui a constitué un des premiers pôles du philhellénisme en Europe Occidentale. C’est dans cette ville d’ailleurs où avait été publiée en 1638 la traduction du Nouveau Testament en grec moderne par Maximos Kallipolitis (Université de Genève 2019) et où, beaucoup plus tard, en plein essor philhellénique durant la Guerre d’Indépendance grecque, sera publiée en 1824 La Lyre d’ Andréas Calvos en grec (Bobas 2007, Université de Genève 2019).

Comme remarque Constantin Bobas, ce sera en 1826 que commencera à être enseigné pour la première fois dans un contexte académique le grec moderne, dans (ce qui était à l’époque) l’académie de Calvin par Jacovacy Rizo Néroulo ; celui-ci écrira aussi une œuvre sur l’histoire de la littérature néohellénique (Cours de Littérature grecque moderne, 1827, 1828). Son élève et successeur Charles Schaub continuera l’œuvre de son prédécesseur, en étudiant la poésie des îles Ioniennes et de l’École Athénienne et en publiant en 1864 Poèmes Grecs Modernes. Sa collection d’ouvrages personnelle constituera le noyau de la section grecque moderne de la bibliothèque Universitaire contemporaine de Genève (Bobas 2007).

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Le Collège Calvin (gravure), débuts du 19ème siècle (Source: Wikimedia Commons)

L’enseignement de la langue et de la littérature grecque à l’Université de Genève sera officiellement institutionnalisé en 1927 à l’aide du legs Lambraki-Maunoir (Université de Genève 2019), ayant en tête le néo-helléniste Samuel Baud-Bovy, de 1931 à 1957. Il sera succédé par Bertrand Bouvier. Tous les deux affichaient une spécialisation dans l’étude des chants populaires grecs et de la poésie grecque moderne (Bobas 2007, Université de Genève 2019). L’Université de Genève constitue aujourd’hui un centre principal de recherche et d’enseignement d’études grecques modernes en Suisse (voir aussi Les Etudes Néo-helléniques dans les Universités francophones 2015), alors que Constantin Bobas note que le grec moderne fut aussi enseigné de 1956 à 1972 à l’école de traduction de Genève. À souligner la création en 1996 de la « Société Suisse des Études Néohelléniques » qui siège à l’Université de Genève (Les Etudes Néo-helléniques dans les Universités francophones 2015).

Dimitris Gkintidis|Grecehebdo.gr

Photo intro: La Bibliothèque de l’Université Catholique de Louvain, photo par Heather Shimmin (Source: Getty Images – iStock / Getty Images Plus)

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D. G.

 

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