Evi Gkotzaridis est une historienne qui a obtenu son doctorat à la Sorbonne Nouvelle. Elle se spécialise sur l’Irlande et la Grèce et est l’auteure de deux livres, l’un sur la genèse complexe du révisionnisme irlandais et les réactions qu’il suscita et l’autre «A pacifist’s Life and Death» sur la vie et la mort de Grigoris Lambrakis, le pacifiste grec qui fut assassiné le 27 mai 1963 par des forces ‘invisibles’ et dont l’assassinat est le sujet du roman de Vassilis Vassilikos et du film de Costa Gavras «Z».
Pourquoi avez-vous choisi Grigoris Lambrakis, comme sujet de vos recherches?
Quand je suis arrivée en France, j’avais tout juste trois ans et les Colonels étaient déjà au pouvoir depuis plus de quatre ans. Pendant toute mon adolescence, j’ai vécu dans une ignorance totale des raisons qui ont poussé ma famille à s’exiler. Je ne savais pas que durant l’Occupation, mon grand-père avait aidé les maquis grecs, qu’un jour au retour d’une mission de ravitaillement, il fut arrêté et exécuté sommairement par les Allemands parce qu’un villageois l’avait trahit. Je ne savais pas non plus que mon père qui plus tard devint restaurateur était sujet régulièrement aux menaces et à l’intimidation par les hommes des services de surveillance qui lui demandaient de moucharder sur ses clients. De temps en temps, des bribes d’information me parvenaient, par exemple, quand un jour à l’école grecque, l’institutrice nous fit écouter un enregistrement sur la répression de la révolte des étudiants de l’école polytechnique. Ce fut un moment fort en émotion. Mais ensuite, la vie reprit son cours, calmement, comme si rien ne s’était passé. Mon pays et ses troubles me paraissaient lointains à la fin des années 1980 malgré un sentiment vague que j’étais d’ailleurs et que des forces supérieures avaient décidé de mon destin. Puis un jour, j’ai vu le film de Costa Gavras à la télévision française et je fus bouleversée. Encore une fois, l’émotion précéda toute intellectualisation. Mais elle fut suffisamment forte cette fois-ci pour me pousser vers un véritable questionnement. C’est étrange la façon dont un film m’interpella à ce point, mais avec le recul il me sembla porteur d’une intelligibilité plus grande que tout ce dont j’avais été exposé auparavant.
Quels sont les caractéristiques du système politique grec de cette époque par rapport à d’autres pays comme par exemple la France où l’Angleterre?
Je pense que ce qui différencie la Grèce dans les années 1960 c’est le manque de liberté. Cette affirmation peut être nuancée bien entendu, car le gaullisme qui domine la France était aussi autoritaire et répressif. La gauche était aussi sujette à une surveillance étroite là-bas. Il ne faut pas oublier que nous sommes en pleine Guerre Froide, même s’il est vrai que De Gaulle essaie de poursuive une politique étrangère plus autonome à l’intérieur du camp occidental. Mais en Grèce, ces tendances sont amplement exacerbées et par conséquent plus flagrantes. Ici, la droite au pouvoir ne montre pas ce recul vis-à-vis des États Unis. Au contraire, son comportement est plutôt obséquieux et elle s’identifie complètement à ses intérêts géopolitiques. L’aide matérielle et militaire que les Américains donnent généreusement pendant la Guerre Civile accroit la dépendance du pays et donne lieu à une pénétration complète de l’Armée et des Services Secrets américains dans le système grec. De plus, la Guerre Civile a un effet excessivement inhibant sur le processus de démocratisation et cantonne le pays dans une situation d’état d’urgence et donc d’anormalité juridico-politique qui perdure au-delà des nécessités objectives.
Quelle influence a pu exercer le film de Costas Gavras «Z» en ce qui concerne sa réception par le public français à cette période? Partagez-vous le sentiment qu’en France la dictature des colonels est bien connue, mais qu’on ignore le contexte historique des décennies précédentes?

Fotos
1. Le livre de Gkotzaridis avec le dessin de Minos Argyrakis dans Avgi du 28 mai 1963, jour des funérailles de Lambrakis.
2. Grigoris Lambrakis au Marathon, le 21 avril 1963: 1ère marche pour la Paix. [Source: Archive photographique du Secrétariat Général à l’Information et la Communication, www.media.gov.gr]
3. Yves Montand et Irene Papas dans le film “Z” de Costa Gavras (1969).
Entretien accordé à Costas Mavroidis
A lire aussi: Entretien en anglais à Rethinking Greece