Metapolítefsi.com, le nouveau programme digital mise en place par l’association des Archives d’histoire sociale contemporaine (ASKI),  présente la période de Μεταπολίτευση terme qui  désigne en grec  la transition démocratique qui a permis  de passer du Régime des Colonels (1967-1974) à la démocratie suite à la tenue d’élections législatives en novembre 1974. Un événement clé dans ce contexte est le référendum  mise en place après la fin de la dictature des colonels, tenu le 8 décembre 1974 : Ce référendum  abolit la monarchie et règle définitivement la question du régime en faveur de la République.
Le programme numérique “Metapolitefsi: 1974-1989”, est le nouveau projet de ASKI, suite au grand succès du programme sur l’île des exilés politiques « Macronisos.org» et la numérisation d’un grand nombre de revues importantes  (telles que Epitheorisi Tehnis (1954-1967), Politis  (1976-2008) etc.)
Metapolitefsi.com comporte des articles, des photos, des documents historiques  de toute sorte qu’on peut  facilement parcourir pendant des heures, que ce soit à des fins de recherche ou par simple curiosité pour une période qui a marqué la société et la politique en Grèce.
Afin de savoir plus sur le projet mais aussi sur la date oubliée du 8 décembre 1974, GrèceHebdo* a parlé avec l’historien Stathis Pavlopoulos, collaborateur scientifique de ASKI, coordinateur général du projet  pour la création du site sur l’histoire de la période 1974-1989, www.metapolitefsi.com. Né à Athènes en 1984,  Stathis Pavlopoulos est doctorant en histoire de la Grèce moderne à l’Université Panteion.  Ses recherches portent sur l’histoire des idées et l’histoire sociale au XIXe et XXe siècles.
Kinitopoiiseis hartoviomihanias Softex 1982 1983
Μobilisations dans l’industrie du papier Softex, 1982 -1983 © ASKI/Metapolitefsi.com (1974-1989).
En juin 2018, les Archives d’Histoire Sociale Contemporaine (ASKI) ont lancé le nouveau site web Metapolitefsi.com. Qu’entendons-nous par le terme “Metapolitefsi” et quel est le raisonnement derrière sa présentation en tant qu’unité distincte de l’histoire grecque ?
Le site web métapolitefsi.com est le résultat d’un effort de recherche mené par les Archives de l’Histoire sociale contemporaine pendant deux ans, depuis l’été 2016. Toutefois, ce projet repose sur l’intérêt scientifique déjà existant chez ASKI concernant plus généralement les années 1960 et 1970. Ces décennies-là  marquent deux époques différentes pour l’État et la société grecques: le passage de la dictature à la démocratie.
Un autre paramètre à prendre en compte est qu’au fil de dix dernières années, l’intérêt historiographique en Grèce et plus généralement en Europe s’est accru autours des époques de transition du totalitarisme vers la démocratie.  Le cas de l’Espagne en est un bon exemple. Dans ce contexte, depuis 2007,  ASKI mènent des actions ouvertes au public telles que conférences, ateliers, séminaires de troisième cycle sur des sujets spécialisés autour de ces deux époques.
« Metapolitefsi », au sens strict du mot, signifie précisément ce changement de régime, cette transition vers la restauration de la démocratie en 1974, l’année qui marque l’entrée du pays dans la plus longue période de normalité parlementaire dans son histoire.
Le terme « metapolitefsi » dans l’histoire grecque fait son apparition dans le milieu du XIXe siècle et se réfère à la période qui a suivi l’expulsion du roi Othon (1862) jusqu’à l’arrivée du roi George Ier et sa prise de fonctions en 1864.  Toutefois, ceci est probablement une “histoire oubliée” et lorsque nous nous référons aujourd’hui à « metapolitefsi » tout le monde pense aux événements de 1974 et à la chute de la dictature. Ce qui constitue une particularité grecque est que « metapolitefsi » est progressivement dissocié de 1974 et est devenu synonyme d’une période de longue durée. Ainsi, dans le discours public, on emploie le terme pour parler de la période couvrant les années à partir de 1974 et qui s’étend souvent jusqu’à de nos jours. Effectivement, le terme plus correct serait « Troisième République hellénique » mais ceci n’a jamais été adopté.
Dans le projet metapolitefsi.com de ASKI, « metapolitefsi » s’étend jusqu’au tournant des années 90, d’où la période examinée dans le cadre du programme. Sur cette période de 15-16 ans, nous considérons que tous les « épreuves de résilience » de la République sont accomplies: l’ éloignement des collabos du régime dictatorial s’ est réalisé, la Constitution démocratique est adoptée, des partis s’alternent au pouvoir par le biais d’élections libres, le référendum du 8 décembre 1974 abolit la couronne (une autre étape démocratique décisive est donc franchie),  la Grèce rejoint la CEE, il n’y a plus de partis politiques « hors loi » comme c’était le cas avec les deux partis communistes (Parti Communiste – KKE et Parti Communiste de l’ Intérieur – KKE Esoterikou) et une série de droits et libertés sont intégrés tant au niveau institutionnel qu’au niveau social.
Sur le plan social, une série de mouvements fleurissent, tels que le mouvement étudiant, féministe et plus tard, le mouvement écologique, homosexuel ainsi que celui des objecteurs de conscience. Enfin, dans cette période-là la tâche de « Réconciliation nationale » ne cesse de gagner du terrain dans la mesure oùune série d’initiatives politiques et symboliques visant à « guérir les plaies » et à surmonter le caractère conflictuel du passé, particulièrement  la guerre civile voient le jour. Ainsi, à notre avis, la décennie suivante (1990) marque un changement de paradigme.
Proeklogiki ekstrateia 1981 Nikos panagiotopoulos ASKI
Campagne électorale, 1981. Photo de Nikos Panagiotopoulos © ASKI/Metapolitefsi.com (1974-1989).
Quelles sont les principales sections auxquelles le visiteur peut naviguer et à quel genre de matériel historique a-t-il accès ?
Le visiteur du site peut consulter des documents d’archives rares sur l’histoire de la période 1974-1989 provenant des archives et de la bibliothèque d’ASKI. Gardons à l’esprit que c’est une période d’explosion pour le discours imprimé, apparu dans les journaux, revues etc. due à la suppression de la censure et à la politisation intense de l’époque.
Il s’agit d’une période de libéralisation des idées et d’optimisme social qui produit la conviction que tout serait désormais possible. Les gens – du moins les citoyens démocratiques – avaient besoin, après sept ans d’oppression, de réclamer à nouveau le présent et finalement reconstruire leurs propres vies.
Le matériel du site couvre l’ensemble du spectre politique de la période, l’accent étant mis sur la production éditoriale de la gauche. Ainsi, le visiteur peut trouver une série de brochures, d’affiches, de photos et de publications préélectorales concernant les questions cruciales de l’époque. A travers eux, le visiteur peut se familiariser avec les discours, les arguments, l’esthétique et en général la « couleur » de l’époque. Selon le concept du site, on cherche à offrir des environnements de travail particuliers autour des aspects-clés de la période, créant ainsi les sept rubriques suivantes: PolitiqueEuropeTravailSociété et MouvementsÉconomieCultureMémoire.
Proti epeteios polytehneiou 1974
La première célébration du soulèvement de l’Ecole Polytechnique, le 17 novembre 1974 © ASKI/Metapolitefsi.com (1974-1989).
Chaque rubrique est conçue comme source de stimuli et de recherches ultérieures selon l’architecture suivante : un texte générique central, des outils de recherche complémentaires (tels que des cartes interactives, une chronologie des évènements marquants) et enfin des anthologies thématiques avec des documents d’archives autour d’une question spécifique (par exemple: le référendum sur la question du régime politique en 1974, le mouvement féminin et féministe, la première célébration du soulèvement de l’Ecole Polytechnique etc.). Dans certains cas, des textes plus spécifiques sont intégrés portant sur des aspects spécifiques d’un sujet.
De plus, dix sept entretiens enregistrés sur vidéo sont disponibles sur le site. Il s’agit de personnes qui parlent de leur propre expérience ou font leur bilan critique de la période 1974-1989. Ces personnes issues de différentes milieux, affiliations politiques et identités, présentent, en fin du compte, leur propre expérience de « metapolitefsi » en tant qu’expérience vécue, en reliant ainsi leur histoire personnelle avec le contexte général de l’époque. On dirait qu’il s’agit d’un certain « jeu » entre la conjoncture historique et les parcours personnels.
Poreia protomagias 1977
Manifestation pour la fête du 1er mai, Athènes 1977 © ASKI/Metapolitefsi.com (1974-1989).
Parlez-nous du référendum du 8 décembre 1974 – quelle est l’importance de cette date aujourd’hui ?
Le référendum du 8 décembre 1974 ferme définitivement le chapitre de la monarchie en Grèce, puisque le peuple grec avec une très large majorité de quasi 70% de l’électorat vote en faveur de la République (les pourcentages exacts sont : 69,18% contre la monarchie et 30,82% en faveur). Cet événement est aussi connu comme « le vert de la démocratie », selon les slogans de l’époque, à cause de la couleur verte des bulletins du referendum pour la République.
C’est ainsi que la monarchie- ce grand chapitre qui a marqué le parcours de l’État grec -fut définitivement aboli. A rappeler que la monarchie en Grèce  a duré  pendant presque deux siècles à  l’exception de l’ « intervalle » de la période 1924-1935.
Rappelons ici, qu’à partir des années 1960, les interventions du trône aux affaires gouvernementales ont conduit à l’instabilité politique et aux événements de juillet 1965, connus aussi sous le nom « Iouliana» terme qui désigne la crise politique ayant opposé le roi Constantin II de Grèce au Premier ministre Georgios Papandréou.
De plus, l’interventionnisme de la couronne aux affaires de l’Etat a en fait contribué au tumulte politique exploité par les colonels pour abolir la démocratie en 1967.  Le référendum de décembre 1974 ouvre essentiellement la voie à l’adoption de la constitution démocratique de 1975 lorsque l’essentiel qui fut la question du régime de l’Etat est réglé  en faveur de la République. Enfin, on pourrait aussi souligner que le referendum de 1974 est le deuxième exemple du bon déroulement du processus électoral après la chute de la Junte, le premier étant les élections libres du 17 novembre 1974.
Collage Dimopsifisma
Brochures et affiches pour le référendum du 8 décembre 1974 © ASKI/Metapolitefsi.com (1974-1989).
Sur un plan plus général, ASKI entreprennent toute une série d’initiatives dans la direction de la numérisation des archives historiques et leur mise à disposition gratuite au public. Quel est l’objectif de telles initiatives et quel est leur impact sur la société ?
Depuis leur fondation en 1992, ASKI ont adopté une politique visant le libre accès des citoyens aux archives et donc à l’histoire. Le fondateur de ASKI, Philippos Iliou (1931-2004), ayant reçu sa formation historique au sein du système éducatif français, considérait que la connaissance de l’Histoire faisait parti des droits civils Républicaines.
Ces principes statutaires concernant les archives originales qui régissent le fonctionnement d’ASKI jusqu’à aujourd’hui, s’étendent aussi à notre présence sur Internet. A mon avis, l’accès gratuit aux archives historiques et au savoir contribuent à notre conscience nationale.
Dans ce contexte, depuis 2004, ASKI investit davantage dans la mise en ligne de ses archives via le site web www.askiweb.eu  mais aussi à travers de projets indépendants tels que le site www.métapolitefsi.com dont nous parlons ou une autre initiative récente, le Musée Digital de Makronissos, www.makronissos.org.
Grâce à ces œuvres numériques, nous pensons que les utilisateurs deviennent de plus en plus conscients du caractère d’ASKI et apprennent à mieux examiner ses collections. A noter aussi qu’à travers les sites, le public a accès à une vaste gamme d’outils de recherche pour les archives disponibles, qui ne sont pas exclusivement académiques, mais relèvent d’un intérêt  plus général pour tout visiteur  qui  se pose des questions à caractère historique.
Autrement dit, l’avantage de ces œuvres numériques est que les informations historiques peuvent être rendues plus partagées et attirante du point de vue esthétique. Plus particulièrement, toutes ces initiatives s’inscrivent dans le contexte du développent du domaine scientifique des humanités numériques qui offrent de nombreux outils et méthodes pour mettre en valeur la science historique.
Avant tout, je pense que grâce à ces projets numériques, on crée un point de dialogue critique autour de thèmes qui nous intéressent en tant que chercheurs, historiens ou citoyens. Mais il s’agit d’un point de dialogue où les informations en question se sont filtrées par la recherche historique et la documentation scientifique afin d’offrir, dans  la mesure du possible, un espace de présentation prudente et  fertile.
Politis Collage
Collage avec des couvertures de la revue “O Politis“, (1976-1995 & 1998-2008), disponible en ligne sur askiwerb.eu © ASKI
Par ailleurs l’Internet, même s’il contribue massivement à la démocratisation des connaissances en réduisantles déséquilibres géographiques et sociaux, il est en même temps rempli de pages et de sites web qui reproduisent des stéréotypes, des mythes, des informations inexactes et des lectures superficielles de l’histoire. Et ceci pose un grand problème auquel des initiatives comme celles d’ASKI tentent de répondre.
En ce qui concerne l’audience en ligne d’ASKI, je dirais qu’il s’agit d’un public très actif aussi bien dans les pages mentionnées et dans nos  réseaux sociaux : notre page facebook est suivie par environ 9000 utilisateurs et le site metapolitefsi.com a eu plus de 30,000 visites en 5 mois d’existence.
Notre public est essentiellement un public cultivé porteur d’une pensée critique qui nous offre suivant souvent des commentaires, des suggestions et aussi des points de vue différents, à savoir tous les aspects d’un dialogue ouvert.
Un autre élément très important à mentionner, lié au caractère direct du monde numérique, est que les gens qui suivent notre travail nous offrent souvent leurs archives personnelles, documents familiaux etc. publiés par la suite sur Internet. Ainsi, les gens sont en mesure de voir directement comment leurs histoires personnelles et familiales rendent plus riches et complètes les programmes de recherche.
De cette façon, la petite histoire personnelle d’un prisonnier de Makronissos, une note manuscrite, ou une photo d’une manifestation pendant la dictature, deviennent le matériel pour une étude, un article, une thèse etc. Et je pense qu’en même temps, le donateur se sent avoir contribué avec son parcours personnel à une entreprise de connaissance plus élargie.
* Interview accordée à Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr.  Traduction du grec: Magdalini Varoucha.
A LIRE-A REGARDER:
– Lire l’interview en grec ici

M.V.

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