L’Université Aristote de Thessaloniki constitue la plus ancienne université en Grèce du Nord, créée presque un siècle après l’Université nationale et capodistrienne d’Athènes et quelques années après la reconnaissance de l’École Polytechnique d’Athènes en tant qu’établissement Universitaire. Elle est toutefois parvenue à acquérir au fur du temps une place particulière dans le champ académique grec. Créée officiellement en 1925, elle répondait à l’époque aux ambitions de l’État-grec d’établir une institution d’éducation supérieure dans les soi-disant « nouveaux pays » du Nord (Macédoine, Thrace) le lendemain de la Catastrophe d’Asie Mineure en 1922 (Foukas 2008). En effet, celle-ci avait marqué l’abandon de toute idée de créer une université grecque à Smyrne (Pyrgiotakis 2008).

Un projet modernisateur

Thessaloniki, métropole du Nord et deuxième plus grande ville de l’État grec, s’est avérée le site où serait alors fondée la nouvelle université. L’initiative appartient au gouvernement d’Alexandros Papanastasiou en 1924. L’Université a commencé son fonctionnement en 1926, sous la présidence de Georgios Chatzidakis. La Faculté Philosophique fonctionna pour la première fois dans les locaux du bâtiment « Allatini » sur l’est de la ville (Hassiotis 2002).

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La statue en honneur d’Alexandros Papanastasiou dans le campus de l’Université (détail), par Tilemahos Efthimiadis (Source: flickr.com, Licence: CC BY 2.0)

Cependant, très tôt, la Faculté et l’ensemble de l’Université furent relocalisés en plein centre ville en 1927 ; de plus, l’entre-deux-guerres vit la croissance rapide et l’augmentation des facultés de l’Université. Comme souligné par Ioannis Hassiotis, les premières années de fonctionnement, ainsi que l’occupation Nazie et la Guerre Civile, constitueront la première période « héroïque » de l’Université à travers laquelle la communauté universitaire fera ses preuves envers la société de Thessaloniki, s’établira académiquement sur le niveau national et délimitera son autonomie par rapport aux pressions extérieures (2002).

Hassiotis suggère que très tôt l’Université de Thessaloniki se démarquera comme un projet radicalement modernisateur, tant du point de vue politique que  linguistique – du fait que la plupart des premiers enseignants étaient des farouches démoticistes ; ceci  sera accentué par le fait que Thessaloniki à l’époque était une ville ayant accueilli un grand nombre de réfugiés en provenance d’Asie Mineure et de Thrace Orientale. Celle-ci constituait de fait alors un milieu urbain en plein essor social et idéologique, loin du pouvoir étatique d’Athènes où siégeaient les Universités établies de la capitale. De toute façon, il s’agissait d’une nouvelle Université qui abritait des facultés et des départements innovants sur le plan national, comme souligné par Vassilis Foukas (2008, voir aussi Hassiotis 2002). Du point de vue de la population étudiante et de ses mutations, Foukas remarque que tout au long de l’entre-deux-guerres la faculté Philosophique perdra son attrait, tandis que le Département d’Agronomie ou la Faculté de Droit – plus orientés vers des carrières professionnelles et lucratives – attireront de grands nombres d’étudiants ; ceci à l’exception des femmes étudiantes, qui seront plus ou moins limitées dans des études d’enseignantes à la Faculté Philosophique, jugées alors plus appropriées pour le sexe féminin étant donné leur caractère supposément quasi-maternel (Foukas 2008). En même temps, Hassiotis suggère que la localisation de certaines facultés dans le même bâtiment central jusqu’aux années 1950 a donné lieu à une cohabitation féconde ; cependant, ce projet modernisateur que fut l’Université Aristote a toujours eu ses limites, comme par exemple en témoigne le sujet de l’exclusion des femmes enseignantes (Hassiotis 2002). Force est de constater que Maria Marketou-Pylarinou fut en 1947 la première femme professeure de l’Université (dans le Département de Physique, ayant commencé à enseigner en tant qu’assistante de laboratoire en 1928) (Revue Phenomenon 2008).

Élargissement et démocratisation

La période qui suivit la Seconde Guerre mondiale et la Guerre Civile ne fut pas épargnée de tumultes et conflits politiques, mais donna aussi lieu à des développements sociaux importants quant à l’histoire de l’Université ; il s’agit notamment de la massification de l’enseignement supérieur et l’augmentation de la population étudiante, une dynamique illustrée, entre autres, par les réformes éducatives du gouvernement de Georgios Papandréou en 1964. Hassiotis suggère aussi que les caractéristiques des enseignants de l’Université ont changé au fur du temps et qu’un grand nombre de nouveaux professeurs étaient originaires de la Grèce du Nord et de Thessaloniki (contrairement aux premiers enseignants de l’Université), à l’instar de la majorité des étudiants de l’Université. Ceci a amélioré la relation entre académiciens et société locale (2002).

C’est durant cette même période que l’Université connaîtra sa plus grande expansion, avec l’établissement d’un nombre important de bâtiments et d’infrastructures qui répondaient aux nouveaux besoins de l’Université. À noter que l’expansion du campus de l’Université se fit en grande partie sur le site de l’ancien cimetière (nécropole) de la communauté juive de Thessaloniki, qui fut déportée et exterminée dans sa quasi-totalité par les Nazis durant l’Occupation (Hassiotis 2002, voir aussi Saltiel 2014, Kalogirou n.d.).

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Le plan de ville d’Ernest Hébrard prrévoyait déjà depuis 1919 la construction d’une Université sur le site où serait finalement établie l’Université Aristote depuis 1927 (installation rouge à l’extrême centre-droite de la carte, voir aussi Kalogirou n.d.) (Source: Wikimedia Commons) 

La période qui suivra la chute de la junte des colonels (1974-) signalera enfin la démocratisation du fonctionnement de l’Université, notamment du fait de la plus grande implication des étudiants dans l’administration, et du fait de la suppression du modèle conservateur des chaires (Hassiotis 2002). Tout au long des années 1980 et 1990, l’Université acquerra graduellement sa propre place sur le marché académique mondial et aujourd’hui son but principal consiste « à continuer à être la meilleure Université multithématique du Sud-Est de l’Europe » (Université Aristote de Thessaloniki 2019).

Dimitris Gkintidis | Grecehebdo.gr

Photo intro: Vue panoramique de Thessaloniki, l’Université Aristote en premier plan, au centre et à gauche. Photo par joyt (Source: Getty Images – iStock / Getty Images Plus).

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D. G.

 

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