Le terme « cretomanie », inventé par Paul Morand en 1960, illustre des exemples de réponses modernes à la culture matérielle de la Crète minoenne, particulièrement pendant la période de la Belle Époque. Il décrit une passion pour le passé minoen visible dans l’architecture, les arts performatifs et le design (voir : théâtre, danse, mode, design).

Interprétations archéologiques inspirées par la création artistique

La réception de l’art minoen par les mouvements artistiques de la fin du XIXe siècle et des premières décennies du XXe, notamment par l’Art nouveau (grosso modo 1890-1910) et l’Art déco (1910-1939), a fait l’ objet d’investigation par un bon nombre d’ historiens et archéologues. Le style Art nouveau se caractérise par des lignes aux courbures élégantes et des motifs naturels. Il marque également le retour de la couleur, tant en architecture qu’en peinture. Au moment de la Première guerre mondiale, l’Art Nouveau cède sa place à un style plus anguleux et plus géométrique, à savoir l’Art déco.

L’apogée de l’Art nouveau en Europe a coïncidé avec les fouilles d’Arthur Evans dans le site de Cnossos. Ces fouilles marquent la découverte d’une nouvelle civilisation, baptisée « minoenne » par A. Evans et permettent aux historiens et aux archéologues d’entrevoir l’histoire du monde égéen à l’âge du bronze. Certains prétendent même qu’Evans a été l’un des premiers à donner -voire inventer- en Europe une identité préhistorique vouée à rivaliser avec les cultures non européennes de l’ancien Proche Orient, de la Mésopotamie et d’Amérique centrale (Papadopoulos : 2005).

À gauche : Sir Arthur Evans. À droite : Le portique nord du Palais de Knossos, Photo : Wikimedia Commons

Á cause de cette coïncidence temporaire, la ressemblance artistique entre la culture matérielle minoenne et le style de l’Art nouveau a suscité des questions à éclaircir comme par exemple si l’Art minoen a vraiment inspiré l’Art nouveau ou si c’était l’Art nouveau qui a influencé la restauration de l’art minoen. Entre autres, l’influence minoenne sur l’Art nouveau est illustrée non seulement par l’emploi des motifs minoens (animaux, plantes etc) mais aussi par le vif intérêt manifesté par les artistes de l’Art nouveau pour la civilisation minoenne, en tant que civilisation pacifique en lien direct avec la nature. La tendance inverse est plus complexe et affecte plusieurs exemples des restaurations qui pourraient illustrer les influences de l’Art nouveau sur le travail des premiers archéologues et restaurateurs au point où la restauration a assumé sa propre identité historique. Selon Alexandre Farnoux, ancien directeur de l’École française d’Athènes (2011-2019) et spécialiste de la Crète minoenne et de Délos « c’est la théorie de l’Art nouveau, formulée par John Ruskin ou Morris, qui a influencé la compréhension de l’art minoen, un peu comme l’art abstrait a permis la redécouverte de la sculpture archaïque grecque » (Farnoux : 1993).

Il est à noter que, tandis que l’esthétique de l’Art nouveau a influencé les réponses envers la Crète minoenne, après la seconde guerre mondiale c’est la culture matérielle minoenne qui exerce de l’influence sur certaines productions de l’Art déco (Farnoux :1996).

motifs floraux et prince aux lys
À gauche : Motifs floraux Art nouveau par Paul Bürck, 1899. À droite : Le prince aux fleurs de lys, Photo : Wikimedia Commons

La Cretomanie s’empare de la mode et des arts performatifs parisiens

La capitale minoenne de l’époque fut sans doute Paris, car la ville a joué un rôle très important à la réception de la Crète minoenne et sa diffusion vers le grand public. De Marcel Proust à Picasso, c’était dans le milieu artistique parisien qu’on faisait la connaissance de la Crète minoenne. (Momigliano : 2017). Exemples tirés des arts visuels illustrent comment la Crète minoenne fut employée pour explorer des questions sur l’orientalisme, la religion, la sexualité et les rapports entre les sexes. Pour des artistes tels que Léon Bakst et Mariano Fortuny la rencontre avec les minoens a marqué un tournant pour ce qui est de leur trajectoire artistique.

Banks est largement connu pour les costumes qui désigna pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev. Les Ballets Russes ont produit certains des chefs-d’œuvre les plus importants du ballet du XX e siècle. Parmi les créations les plus célèbres de Bakst pour les Ballets Russes furent : Schéhérazade (1910), L’Après-midi d’un Faune (1912) et Daphnis et Chloé (1912). Dans le cas de Bakst, le passé minoen lui a offert une nouvelle palette et une nouvelle appréciation pour le corps humain. Plus important encore, il lui a ouvert une voie vers le modernisme. Le concept de la modernité est ainsi identifié à une civilisation datant de l’Âge de bronze, ce qui est pour le moins étonnant. Pourtant, les lignes simples, le mouvement et les couleurs vibrantes de l’art minoen s’intègrent à la vision de Bakst pour l’art de la future.

Phèdre
Léon Bakst, costumes faits pour le ballet Phèdre (1923), Photo : Wikimedia Commons

Contrairement à Bakst, le scénographe et couturier Mariano Fortuny n’a jamais visité la Crète. Il avait pourtant étudié les dessins de A. Evans et les motifs décoratifs des céramiques minoennes. De cette étude naquit le châle en soie « Knossos », qui a fait son début le 24 novembre 1907 à Berlin. Pour les châles « Knossos », Fortuny a utilisé des motifs abstraits, végétaux et marins, reflétant le goût du style Art nouveau et acclamant la « modernité » de l’art minoen. Cette modernité était conforme aux concepts construits en Europe pendant le XIXe siècle et aux débuts du XXe siècle. Un exemple caractéristique en est la fresque de la femme minoenne surnommée « La Parisienne » qui, avec sa robe moderne et ses couleurs osées, reflète l’Ideal de la femme « moderne », libre de conventions. Elle fait aussi allusion à la prédilection de l’époque pour l’orientalisme. Les châles de M. Fortuny ont été portées par des artistes fameuses, comme Isadora Duncan et Sarah Bernhardt et, comme les œuvres de Bakst ils ont étés appréciés par Marcel Proust dans la Recherche du Temps Perdu (Momigliano : 2017).

Fortuny
À gauche : Un portrait d’Henriette Nigrin portant une robe Delphos et un châle Knossos par Mariano Fortuny.  À droite : Le logo de la marque Knossos de Fortuny

Le cas de l’ Art déco

Dans les années ’20 et ’30, l’interêt pour les motifs abstraits et floraux minoens diminue. Les nouveaux styles de l’Art déco et du cubisme privilégient plutôt les motifs architecturaux minoens (Blakolmer : 2017). A ce moment-là, des questions se posent si s’était l’architecture minoenne elle même exerçant une influence sur des mouvements artistiques contemporains ou plutôt les reconstructions (voire l’imagination) des archéologues qui ont accordés des caractéristiques contemporains à une civilisation ancienne.

Nicoletta Momigliano, archéologue spécialisée en Crète minoenne affirme que si l’art minoen continue à fasciner, ce n’est pas uniquement en raison des particularités de son culture matériel remarquable mais largement à cause des réponses individuelles qu’elle apporte, car auteurs, architectes, personnalités politiques, artistes, archéologues et historiens continuent à lui accorder des significations nouvelles conformes à leur époque.

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Léon Bakst, scénographie pour le ballet Phèdre (1923), Photo : Wikimedia Commons
 
Lina Syriopoulou | GreceHebdo.gr

 

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L.S.
 
 
 

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