L’inspiration historique
D’une manière générale, l’histoire grecque a beaucoup moins inspiré le cinéma que l’histoire romaine. Au contraire, la mythologie gréco-latine a suscité de nombreuses créations, notamment parce qu’elle permet aux scénaristes, aux décorateurs et aux créateurs d’effets spéciaux de laisser libre cours à leur imagination.
En dehors de documentaires plus ou moins touristiques, on trouve des films archéologiques de vulgarisationréalisés par le CNRS ou la chaîne Discovery Channel, comme un épisode des Royaumes disparus consacré à Troie. Nestor Almendros, réalisateur par ailleurs de films sur Cuba et directeur de la photographie de réalisateurs de la Nouvelle Vague, livre à la télévision scolaire un film dans la lignée des expérimentations des années 60, tant du point de vue du commentaire littéraire que de l’accompagnement musical : “La Grèce antique: I. Cnossos et Mycènes, II. Olympie, III. Délos“, produit par l’Institut pédagogique national en 1967.
L’organisation de jeux olympiques durant l’époque contemporaine favorise la redécouverte des jeux de l’Antiquité: “Les champions d’Olympie” de Philippe Molins (2004) et “Quand les dieux couronnaient les hommes“, de Pascal Cuissot (2004).
Du côté de la fiction, Georges Méliès brode une histoire autour d’un voleur de trésor dans “L’oracle de Delphes” (1903), dont le décor est en réalité plus égyptisant que grec. Quant à Albert Capellani, il offre une vision dans l’air du temps des débuts du XXe siècle, avec une intrigue mélodramatique et de la danse, dans “Amour d’esclave” (1907).
Seules quelques périodes – celles où émergent des héros – sont mises en scène sur grand écran : les guerres médiques à travers les batailles de Marathon: “La bataille de Marathon“, de Jacques Tourneur et Mario Bava (1959) et celle des Thermopyles dans deux versions : The 300 Spartans de Rudolph Maté (1962) puis 300 de Zack Snyder (2006). La bataille des Thermopyles revêt une dimension politique, car elle désigne l’ennemi, qui vient de l’Est : l’URSS à l’époque de Rudolph Maté et de la guerre froide et celle de la guerre en Irak pour Jack Snyder.
Quant aux personnages politiques, peu sont portés sur grand écran : Périclès est vu à travers la pièce de Shakespeare mise en scène pour la BBC dans “Pericles : prince of Tyrede” de David Jones (1984). L’épisode de la domination romaine sur la Grèce est évoqué dans un film italien affichant clairement son parti pris, “La bataille de Corinthe” de Mario Costa (1961) : les « méchants Grecs » se révoltent tandis que les « bons Grecs » sont romanophiles.
Le personnage qui mêle intimement histoire et légende est par excellence Alexandre. Il inspire nombre de films : des documentaires comme Alexandre le Grand, le Macédonien de Bernard George (2011) ou “Alexandre Le Grand” de Jim Lindsay (2004), des superproductions, non dénuées d’intentions politiques : “Alexander the Great” (1956), de Robert Rossen, avec Richard Burton et “Alexander : fortune favors the bold” (2004), d’Oliver Stone, avec Colin Farrell, sans oublier un certain nombre de films bollywoodiens consacrés à Sikandar (son nom indien), par exemple “Sikandar” de Sohrab Merwanji Modi (1941).
L’inspiration littéraire
L’Iliade et l’Odyssée sont des mines inépuisables pour les scénaristes; on y retrouve le bruit et la fureur de la guerre, les femmes fatales, les monstres et les sortilèges, les héros et les dieux.
Hélène et l’histoire de Troie sont très tôt mis à l’écran. Dès 1902 Georges Hatot tourne un film qualifié de « scène grivoise », “Le jugement de Pâris“. La BnF conserve une trace sur papier de la superproduction allemande “Helena, der Untergang Trojas” (1924), de Manfred Noa, ainsi que de “The private life of Helen of Troy” (1927), d’Alexander Korda. Dans les années 1950, un certain nombre de films américains sont tournés à Cinecittà avec des fonds bloqués en Italie et donc de gros moyens : par exemple “Helen of Troy” de Robert Wise (1956).
Côté italien, on balance entre Homère et Virgile, entre la colère d’Achille (“L’ira di Achile“, de Marino Girolami, 1962) et Énée, devenu le héros de la guerre de Troie, dans “La guerra di Troia” de Giorgio Ferroni (1961). On notera que “L’ira di Achille” emprunte des scènes à “La guerra di Troia”, selon l’économie très particulière du péplum italien à son apogée.
On retrouve Électre dans un film de Miklós Jansó: Szerelmem, Elektra (1974). Pier Paolo Pasolini avait en projet le tournage d’une Orestie dans l’Afrique des années 60. Il en reste un documentaire sur ses repérages et quelques scènes, Appunti per un’Orestiade africana (1970).
On connaît la “Medea” de Pasolini, avec Marias Callas (1969), mais sans doute moins celle que Lars von Trier a réalisée en hommage à Carl Th. Dreyer (1988).
Les hommes, les surhommes et l’Olympe
L’Odyssée est contée par un aède, dans la mise en scène de Bruno de La Salle, basée sur la traduction de Victor Bérard, et filmée au festival d’Avignon en 1991 : “Le chant de l’Odyssée“.
Andrei Mikhalkov-Konchalovski a réalisé une Odyssée pour le petit écran en 1997, aidé pour les effets spéciaux par Jim Henson, le créateur du Muppet show et par ailleurs à l’origine de la série “The storyteller : Greek myths“.
Car bien sûr, ces récits cinématographiques tirés de la mythologie font grand usage d’effets spéciaux. Le maître en a été Ray Harryhausen, dont on cite toujours en exemple le travail dans Jason and the Argonauts, de Don Chaffey (1963).
Les dieux peuvent aussi être moqués. C’est le cas dans “Amphytrion : Aus den Wolken kommt das Glück“, de Reinold Schünzel (le réalisateur de “Viktor, Viktoria”) une comédie opérette d’après Plaute et Heinrich von Kleist tournée dans les studios de la UFA… en 1935.
Dans les années ’50, face aux superhéros Marvel américains, les Italiens ont répliqué par des messieurs muscles (la plupart du temps des culturistes américains, comme Steve Reeves, Gordon Mitchell, ou Mark Forest mais on trouve aussi un Sud-Africain, Reg Park). C’est l’âge d’or du péplum italien, où vont faire florès les Maciste, Hercule et Ursus, sans oublier les Amazones. Ces personnages évoluent à travers le monde, les civilisations et les enfers : par exemple chez les Incas, “Maciste contro i cacciatori di teste“, de Guido Malatesta (1962), “Zorro contra Maciste“, d’Umberto Lenzi (1963), “Ercole al centro della terra“, de Mario Bava (1961). Le nom du héros est parfois fluctuant d’un pays à l’autre ou même dans son pays d’origine : ainsi, “Il vendicatore dei Mayas“, de Guido Malatesta (1965) porte-t-il aussi ces titres : “Maciste, il vendicatore dei Mayas” ; “Ercole contro il gigante Golia” ; “Hercule contre Goliath” ; “Maciste, le vengeur du dieu maya” ; “Maciste, avenger of the Mayans”.
Quelques éditeurs vidéo ont lancé des collections « péplum » où on retrouve ces héros : First international production, avec Collection Péplum ; Opening, avec Peplum collection ; Société nouvelle de distribution, avec Péplum-aventures ; Artus films, qui a un titre dans Péplum ; mais c’est surtout Fabbri qui édite le plus de titres, sous la forme de DVD accompagnés de fascicules et regroupés sous le titreLes plus grands péplums en DVD. Il faut parfois aller chercher aux États-Unis les DVD de films européens. Mais l’édition vidéo, pour des raisons de droits, ne peut être exhaustive et proposer tous les titres que l’on trouve référencés dans L’Antiquité au cinéma : vérités, légendes et manipulations.
Néanmoins, les collections de la BnF présentent des titres qui couvrent plus d’un siècle et peuvent permettre aux chercheurs de voir comment la représentation de l’Antiquité évolue au fil du temps et des préoccupations. Nous avons passé ici sous silence des thèmes importants comme les gladiateurs, les représentations de la Bible, Byzance, l’antiquité tardive, en espérant que le lecteur aurait envie de compléter ce voyage dans nos collections.