
Voula Papaioannou (1898 – 1990) est née à Lamia et elle a passé son enfance dans le milieu d’une famille bourgeoise aisée du début du XXe siècle. Elle aimait particulièrement la littérature, l’archéologie, la musique et les arts en général, et adorait voyager en Grèce et à l’étranger. En raison de son amour pour les arts, elle s’est inscrite à l’École des Beaux-Arts en 1917 pour étudier la peinture, mais c’est la photographie qui l’a complètement conquise.

L’intérêt systématique de Voula Papaioannou pour la photographie commence à la fin des années 30, alors qu’elle a eu l’occasion d’acquérir certaines connaissances sur la photographie en aidant son frère, amateur du genre, dans la chambre noire. Pourtant elle a été initiée à l’art de la photographie par le photographe Panos Geralis.

L’engagement sérieux de Voula Papaioannou dans la photographie a commencé grâce à l’encouragement du directeur du Musée archéologique national, Alexandre Filadelfeas, fervent défenseur du « nouvel art », qui lui a proposé de photographier les pièces exposées au musée afin d’en faire des cartes de bonne qualité. Elle photographia ensuite Mykonos, Athènes, les monastères de l’Attique, sous la direction de Zacharias Papantoniou, et les sources thermales de Grèce.
La déclaration de guerre en 1940
Lors de la déclaration de guerre entre la Grèce et l’Italie le 28 octobre 1940 pendant la Seconde Guerre mondiale, Voula Papaioannou consciente de l’importance historique des événements et du pouvoir de l’objectif, demanda à offrir ses services à la Grèce combattante en tant que correspondante de guerre, mais sa demande fut rejetée en raison de son sexe.

Restée à Athènes, elle a décidé d’immortaliser les changements dans l’apparence de la ville et dans la vie de ses habitants pendant l’occupation allemande capturant, à travers son objectif, surtout les souffrances de la population civile d’Athènes. Se déplaçant discrètement dans les rues, elle a isolé des lieux et des moments qui témoignaient de la nécessité pour la population civile de faire face à la situation d’urgence.
Avec son regard et sa compassion Papaioannou espère que ses photographies puissent susciter l’intérêt, éveiller les consciences et changer le monde.
Elle a été témoin des adieux aux soldats, des préparatifs de la ville pour faire face aux situations d’urgence et des premiers soins prodigués aux blessés. Lorsque la famine a frappé la capitale, elle a dénoncé l’horreur de la guerre à travers les images bouleversantes d’enfants squelettiques.

Représentant le mouvement de la « photographie humanitaire » qui s’est développé comme antidote à la destruction des valeurs humaines causée par la guerre Voula Papaioannou saisit avec ses photographies la nature humaine attrapant des sentiments tels que la douleur, l’affection, la patience ou la dignité. La lutte de ses compatriotes pour la survie, telle qu’elle l’a immortalisée avec respect, lucidité et discrétion, acquiert une dimension universelle et reflète la foi dans la force de l’homme simple et dans la valeur de la vie. Avec son regard et sa compassion Papaioannou espère que ses photographies puissent susciter l’intérêt, éveiller les consciences et changer le monde.

Parmi les thèmes qu’elle a choisis figurent les affiches publicitaires des spectacles théâtraux mettant généralement en scène Mussolini et les affiches de guerre réalisées par les élèves de Yannis Kefallinos, qu’il connaissait personnellement et qu’il estimait profondément. Voula Papaioannou a photographié le grand poète Kostis Palamas après sa mort, ainsi que le vieux poète Georgios Drosinis, même si les personnalités politiques, sociales et intellectuelles de l’époque sont absentes de son œuvre.

Au-delà des photos de rue, il a couvert des événements spécifiques à travers une série d’images : la conscription des hommes dans le 34e régiment à Goudi, l’accueil des premiers blessés et la préparation de vêtements par les femmes pour les soldats. Un album soigneusement réalisé, intitulé Nos blessés, comprend 161 photographies classées par thèmes et porte la signature V. Papaioannou 1941 à l’intérieur de la couverture arrière.
Photographier l’horreur de l’Occupation, un acte de résistance
A noter que dès le début de l’Occupation la prise des photos était interdite et Papaioannou travaillait en secret avec son appareil photo menant sa propre résistance. Avec l’aide de son amie Amalia Lykourezou qui avait travaillé avec elle à la Near East Foundation et de l’attaché suisse Franco Brenni, Papaioannou pénétrait sans contrôle dans les établissements hospitaliers et immortalisait avec son objectif des enfants et des adultes mourants de faim.

Ces photos étaient diffusées à l’étranger par l’intermédiaire de la Croix-Rouge internationale et suisse afin de sensibiliser l’opinion publique internationale contribuant à l’envoi immédiat de denrées alimentaires. Les photos de la famine circulaient aussi secrètement de main en main à Athènes.

Plus tard, en 1943, lorsque la famine eut reculé, Papaioannou sollicita la collaboration du graveur Yannis Kefallinos afin de réaliser un album soigné contenant des photographies de la famine, estimant qu’au-delà de l’objectif atteint par leur diffusion, elles devaient être conservées comme mémoire historique.

Cet Album Noir (Μαύρο Λεύκωμα en grec), publié en seulement quatre exemplaires, comprenait 83 thèmes avec des portraits d’enfants et d’adultes au bord de la mort par famine, collés sur 56 pages de carton noir, sans légendes ni autres textes, à l’exception d’un extrait des « Troyennes » d’Euripide à la deuxième page : « … Que faut-il faire ? Que ne faut-il pas faire ? Que ne faut-il pas pleurer ?… ».

L’optimisme de son œuvre photographique dans les années 50
Après la Libération de la Grèce, en tant que responsable du département photographique de l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration), Papaioannou a parcouru la campagne grecque dévastée et a documenté les conditions de vie difficiles de ses habitants. S’écartant souvent des consignes de son service, elle a immortalisé des histoires personnelles et des physionomies de gens simples qui renvoient davantage à la dignité qu’à la misère.

Dans les années 50, son œuvre exprime l’optimisme qui régnait après la guerre quant à l’avenir de l’humanité et, en particulier, la tendance au retour aux valeurs traditionnelles. Au-delà de toute approche romantique antérieure, elle a de nouveau immortalisé le paysage grec avec les traces de son histoire et ses habitants des campagnes.

En 1952 (avec K. Balafas, S. Meletzis et D. Charisiadis), elle fut membre fondateur de la Société photographique hellénique (EFE) et de la Fédération internationale de l’art photographique (FIAP), obtenant en 1962 le titre honorifique d’Artiste FIAP. Dans les années 50 elle a participé, avec son regard personnel, à la formation de l’image d’après-guerre de la Grèce, telle qu’elle était présentée dans les brochures touristiques et les livres de photographie. Deux publications importantes de la maison d’édition suisse Clairefontaine/Guilde du Livre, La Grèce à ciel ouvert et Iles Greques, ont diffusé ses photographies au-delà des frontières de son pays.

Voula Papaioannou fait partie des rares personnes qui ont fait de la poésie avec la photographie et elle est la seule parmi les anciens photographes à avoir laissé une œuvre de réflexion sociale avec un regard pénétrant, exprimant des sentiments de bonté et de grande humanité. Son œuvre photographique surtout des années 40-50 est un document social surprenant.
Grâce à ses talents photographiques, à la sobriété de son expression et à l’abstraction des détails descriptifs, ses thèmes acquièrent souvent une dimension intemporelle et reflètent la foi en la force humaine, mais aussi l’optimisme qui jaillit des situations bouleversantes. Son œuvre photographique appartient depuis des années aux archives du Musée Benaki.
IE
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