GrèceHebdo reprend ici l’article de Brigitte Loret publié au blog “L’antiquité à la Bibliothèque nationale de France” sous le titre : « Antiquité et cinéma (3) : La Grèce et la mythologie » (date de publication: 27 novembre 2017). Brigitte Loret est conservateur en chef, chargée de collections (achats de documents vidéo) au Département de l’audiovisuel de la Bibliothèque nationale de France
 
GrèceHebdo tient à remercier Brigitte Loret et la Bibliothèque nationale de France pour avoir accordé leur autorisation pour cette rediffusion. 

L’inspiration historique

D’une manière générale, l’histoire grecque a beaucoup moins inspiré le cinéma que l’histoire romaine. Au contraire, la mythologie gréco-latine a suscité de nombreuses créations, notamment parce qu’elle permet aux scénaristes, aux décorateurs et aux créateurs d’effets spéciaux de laisser libre cours à leur imagination.

En dehors de documentaires plus ou moins touristiques, on trouve des films archéologiques de vulgarisationréalisés par le CNRS ou la chaîne Discovery Channel, comme un épisode des Royaumes disparus consacré à TroieNestor Almendros, réalisateur par ailleurs de films sur Cuba et directeur de la photographie de réalisateurs de la Nouvelle Vague, livre à la télévision scolaire un film dans la lignée des expérimentations des années 60, tant du point de vue du commentaire littéraire que de l’accompagnement musical : “La Grèce antique: I. Cnossos et Mycènes, II. Olympie, III. Délos“, produit par l’Institut pédagogique national en 1967.

L’organisation de jeux olympiques durant l’époque contemporaine favorise la redécouverte des jeux de l’Antiquité: “Les champions d’Olympie” de Philippe Molins (2004) et “Quand les dieux couronnaient les hommes“, de Pascal Cuissot (2004).

Du côté de la fiction, Georges Méliès brode une histoire autour d’un voleur de trésor dans “L’oracle de Delphes” (1903), dont le décor est en réalité plus égyptisant que grec. Quant à Albert Capellani, il offre une vision dans l’air du temps des débuts du XXe siècle, avec une intrigue mélodramatique et de la danse, dans “Amour d’esclave” (1907).

L’oracle de Delphes de Georges Méliès (1903).

Seules  quelques  périodes – celles où émergent des héros – sont mises en scène sur grand écran : les guerres médiques à travers les batailles de Marathon: “La bataille de Marathon“, de Jacques Tourneur et Mario Bava (1959) et celle des Thermopyles dans deux versions : The 300 Spartans de Rudolph Maté (1962) puis 300 de Zack Snyder (2006). La bataille des Thermopyles revêt une dimension politique, car elle désigne l’ennemi, qui vient de l’Est : l’URSS à l’époque de Rudolph Maté et de la guerre froide et celle de la guerre en Irak pour Jack Snyder.

300 spartans 1962
Anna Synodinou, Diane Baker, Richard Egan, « The 300 Spartans » de Rudolph Maté (1962).

Quant aux personnages politiques, peu sont portés sur grand écran : Périclès est vu à travers la pièce de Shakespeare mise en scène pour la BBC dans “Pericles : prince of Tyrede” de David Jones  (1984). L’épisode de la domination romaine sur la Grèce  est évoqué dans un film italien affichant clairement son parti pris, “La bataille de Corinthe” de Mario Costa (1961) : les « méchants Grecs » se révoltent tandis que les « bons Grecs » sont romanophiles.

Le personnage qui mêle intimement histoire et légende est par excellence Alexandre. Il inspire nombre de films : des documentaires  comme Alexandre le Grand, le Macédonien de Bernard George (2011) ou “Alexandre Le Grand” de Jim Lindsay (2004), des superproductions, non dénuées d’intentions politiques : “Alexander the Great”  (1956), de  Robert Rossen, avec Richard Burton  et  “Alexander : fortune favors the bold” (2004), d’Oliver Stone, avec Colin Farrell, sans oublier un certain nombre de films bollywoodiens consacrés à Sikandar (son nom indien), par exemple “Sikandar” de Sohrab Merwanji Modi (1941).

Richard Burton Claire Bloom Alexander the Great1956
 Richard Burton (Alexandre) et  Claire Bloom dans « Alexander the great » de Robert Rossen (1956).

L’inspiration littéraire

L’Iliade et l’Odyssée sont des mines inépuisables pour les scénaristes; on y retrouve le bruit et la fureur de la guerre, les femmes fatales, les monstres et les sortilèges,  les héros et les dieux.

Hélène et l’histoire de Troie sont très tôt mis à l’écran.  Dès 1902 Georges Hatot tourne un film qualifié de « scène grivoise », “Le jugement de Pâris“. La BnF conserve une trace sur papier de la superproduction allemande “Helena, der Untergang Trojas” (1924), de Manfred Noa, ainsi que de “The private life of Helen of Troy” (1927), d’Alexander Korda. Dans les années 1950, un certain nombre de  films américains sont tournés à Cinecittà avec des fonds bloqués en Italie et donc de gros moyens : par exemple “Helen of Troy” de Robert Wise (1956).

Brigitte Bardot and Jacques Sernas in Helen of Troy 1956
Brigitte Bardot et Jacques Sernas dans « Helen of Troy » de Robert Wise (1956).

Côté italien, on balance entre Homère et Virgile, entre la colère d’Achille (“L’ira di Achile“, de Marino Girolami, 1962) et Énée, devenu le héros de la guerre de Troie, dans “La guerra di Troia” de Giorgio Ferroni (1961). On notera que “L’ira di Achille” emprunte des scènes à “La guerra di Troia”, selon l’économie très particulière du péplum italien à son apogée.

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Gordon Mitchell (Achille ) et Cristina Gaioni dans « L’ira di Achile » de Marino Girolami (1962).
 
Avant d’en venir à Ulysse, faisons un détour par l’adaptation des tragédies grecques. Du côté du théâtre, en 2016 Jan Fabre a mis en scène et chorégraphié 13 tragédies, jouées à la file pendant 24 heures. Mount Olympus, Antigone et Electre ont été régulièrement adaptées pour l’écran, dans leur version antique comme dans les adaptations qu’en ont pu faire Jean Anouilh ou Bertold Brecht : par exemple “Antigone“, de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, d’après Hölderlin et  Brecht (1991).
 
Irène Papas a incarné les deux héroïnes, dans deux films grecs : “Antigoni“, de Yorgos Tzavellas (1961) et “Elektra“, de Michael Cacoyannis (1961).
 
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Irène Papas et Manos Katrakis dans « Elektra » de Michael Cacoyannis (1961).

On retrouve Électre dans un film de Miklós Jansó: Szerelmem, Elektra (1974). Pier Paolo Pasolini avait en projet le tournage d’une Orestie dans l’Afrique des années 60. Il en reste un documentaire sur ses repérages et quelques scènes, Appunti per un’Orestiade africana (1970).

On connaît la “Medea” de Pasolini, avec Marias Callas (1969), mais sans doute moins celle que Lars von Trier a réalisée en hommage à Carl Th. Dreyer (1988).

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 Kristen Olesen dans “Medea” de Lars von Trier (adaptation par Carl Th. Dreyer), 1988.

Les hommes, les surhommes et l’Olympe

L’Odyssée a bien sûr donné des idées aux cinéastes, à commencer par Georges Méliès dès 1905, avec “L’île de Calypso” (dite encore : “Ulysse et le géant Polyphème ou L’île mystérieuse”). 
L’Ulysse le plus célèbre est incarné par Kirk Douglas, dans “Ulisse“, coproduction italo-américaine de Mario Camerini, dans laquelle Circé et Pénélope sont incarnées par la même actrice, Silvana Mangano (1953).
 
Kirk Douglas Silvana Mangano Ulysses
Circé (Silvana Mangano) et Ulysse (Kirk Douglas), dans « Ulisse » de Mario Camerini (1953).

L’Odyssée est contée par un aède, dans la mise en scène de Bruno de La Salle, basée sur la traduction de Victor Bérard, et filmée au festival d’Avignon en 1991 : “Le chant de l’Odyssée“.

Andrei Mikhalkov-Konchalovski a réalisé une Odyssée pour le petit écran en 1997, aidé pour les effets spéciaux par Jim Henson, le créateur du Muppet show et par ailleurs à l’origine de la série “The storyteller : Greek myths“.

Car bien sûr, ces récits cinématographiques tirés de la mythologie font grand usage d’effets spéciaux. Le maître en a été Ray Harryhausen, dont on cite toujours en exemple le travail dans Jason and the Argonauts, de Don Chaffey (1963).

Les dieux peuvent aussi être moqués. C’est le cas dans “Amphytrion : Aus den Wolken kommt das Glück“, de Reinold Schünzel (le réalisateur de “Viktor, Viktoria”) une comédie opérette d’après Plaute et Heinrich von Kleist tournée dans les studios de la UFA… en 1935.

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Mercure (Paul Kemp), Adele Sandrock (Junon) et Willy Fritsch (Jupiter), dans « Amphytrion : Aus den Wolken kommt das Glück » Reinold Schünzel (1935).

Dans les années ’50, face aux superhéros Marvel américains, les Italiens ont répliqué par des messieurs muscles (la plupart du temps  des culturistes américains, comme Steve Reeves, Gordon Mitchell, ou Mark Forest mais on trouve aussi  un Sud-Africain, Reg Park). C’est  l’âge d’or du péplum italien, où vont faire florès  les Maciste, Hercule et Ursus, sans oublier les Amazones. Ces personnages évoluent à travers le monde, les civilisations et les enfers : par exemple chez les Incas, “Maciste contro i cacciatori di teste“, de Guido Malatesta (1962), “Zorro contra Maciste“, d’Umberto Lenzi (1963), “Ercole al centro della terra“, de Mario Bava (1961). Le nom du héros est parfois fluctuant d’un pays à l’autre  ou même dans son pays d’origine : ainsi, “Il vendicatore dei Mayas“, de Guido Malatesta (1965) porte-t-il aussi ces titres : “Maciste, il vendicatore dei Mayas” ; “Ercole contro il gigante Golia” ; “Hercule contre Goliath” ; “Maciste,  le vengeur du dieu maya” ;  “Maciste, avenger of the Mayans”.

Quelques éditeurs vidéo ont lancé des collections « péplum » où on retrouve ces héros : First international production, avec  Collection Péplum ; Opening, avec Peplum collection ; Société nouvelle de distribution, avec Péplum-aventures ; Artus films, qui a un titre dans Péplum ; mais c’est surtout Fabbri qui édite le plus de titres, sous la forme de DVD accompagnés de fascicules et regroupés sous le titreLes plus grands péplums en DVD. Il faut parfois aller chercher aux États-Unis les DVD de films européens. Mais l’édition vidéo, pour des raisons de droits, ne peut être exhaustive et proposer tous les titres que l’on trouve référencés dans L’Antiquité au cinéma : vérités, légendes et manipulations.

Néanmoins, les collections de la BnF présentent des titres qui couvrent plus d’un siècle et peuvent permettre aux chercheurs de voir comment la représentation de l’Antiquité évolue au fil du temps et des préoccupations. Nous avons passé ici sous silence des thèmes importants comme les gladiateurs, les représentations de la Bible, Byzance, l’antiquité tardive, en espérant que le lecteur aurait envie de compléter ce voyage dans nos collections. 

Consulter des vidéos en Haut-de-jardin
Ainsi s’achève pour 2017 la série d’articles portant sur l’Antiquité au cinéma après les billets consacrés à l’Égypte puis à Rome. Vous pouvez venir consulter une partie des œuvres mentionnées dans ces billets sur les postes audiovisuels dans les salles de lecture du Haut-de-jardin.
 
Comment repérer les documents vidéo dans le catalogue général de la BnF ?
Les documents vidéo sont inclus dans le catalogue général, sous l’appellation « Images animées ». Vous pouvez chercher par titre de film, par réalisateur, par scénariste, par compositeur et par acteur et aussi par auteur adapté ; les documentaires peuvent bien sûr être cherchés par sujet, comme les livres. Par exemple pour trouver les adaptations de l’Odyssée ou les films consacrés à Homère, il suffit de taper « Homère » dans la barre de recherche. Dans la colonne de gauche s’affiche le filtre, « Nature de documents », en cliquant sur « + », vous ferez apparaître davantage de types, notamment « Images animées » (36 documents). Il suffit de cliquer sur cette mention « Images animées » pour les afficher. Vous trouverez plus de détails sur le Département Audiovisuel de la BnF ici.
 
Bibliographie
Laurent Aknin, Le péplum, Paris : Armand Colin, 2009
Claude Aziza, Le péplum, un mauvais genre,Paris : Klincksieck, 2009
Hervé Dumont, L’antiquité au cinéma : vérité, légendes et manipulations, Nouveau monde : Cinémathèque suisse, 2009
Florent Fourcart, Le péplum italien : grandeur et décadence de l’antiquité populaire, Paris : éditions Imho, 2012
Konstantinos P. Nikoloutsos, Ancient Greek women in film, Oxford : Oxford University Press, 2013
Gideon Nisbet, Ancient Greece in film and popular culture, Exeter : Bristol Phoenix Press, 2008
Hélène Lafont-Couturier (dir.), Péplum : l’Antiquité spectacle, Lyon : Rhône le département, Musées gallo-romains Saint-Romain-en-Gal/Vienne [et] Lyon-Fourvière : Fage, 2012
 
@ Lire plus sur le cinéma grec via la rubrique “Lexique Ciné” de GrèceHebdo
 
Texte écrit par Brigitte Loret
[Reprise du texte-choix de photos: Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr]
 
 
Pasolini maria Callas
Maria Callas et Pier Paolo Pasolini, durant les tournages de “Medea(1969).
 
M.V.
M.V.

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