“L’étude de l’architecture n’était pas dans ma nature; elle n’était jamais parmi mes inclinations centrales.”
Dimitris Pikionis, 1958.
 
La promenade qui entoure l’Acropole, le chemin pavé qui mène à la petite église de Saint Dimitrios Loubardiaris sur la colline de Philopappou, sont des œuvres du grand architecte Dimitris Pikionis (1877-1968). GreceHebdo revisite son histoire et ses idées, entre Athènes, Munich et Paris, entre modernisme et tradition.
 
Dimitris Pikionis. Source: ERT/Paraskinio 
 
Dimitris Pikionis, né au Pirée en 1887 dans une famille des lettrés issue de l’île de Chios,  montre très tôt un penchant pour la peinture qui fut son premier et grand amour, comme on apprend de ses notes autobiographiques (1958). En 1908 il obtient son diplôme en génie civile de l’Ecole Polytechnique d’Athènes. Pendant ses études, il fait des rencontres avec des peintres, étudiants à l’École des Beaux-Arts, et se lie d’amitié durable avec Giorgio de Chirico (1888-1978). A rappeler que De Chirico,  né à Volos, avait fait ses premières études à l’École des Beaux-Arts d’Athènes avant de quitter la Grèce en 1905 pour l’Italie.
 
Dans la même période, Pikionis  fait aussi la connaissance de son véritable maître, le peintre Konstantinos Parthenis (1878-1967), dont il fut le premier élève.  Il fait aussi la connaissance  de poètes, de sculpteurs et d’idéologues et fut influencé, entre autres, par les idées des Periclès Yannopoulos,. C’est grâce à Parthénis qu’en 1908 il part suivre des études de peinture à Munich, la destination habituelle des peintres grecs, comme lui-même dit dans ces notes.
 
À Munich, selon l’architecte Yiannis Tsiomis, Pikionis lit Goethe, les philosophes allemands et revisite les tragiques grecs (Eschyle surtout). C’est là qu’il découvre l’œuvre de Paul Cézanne pour lequel il écrit: « La vraie peinture est là ».
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 Peintures de Dimitris Pikionis. Source © Musée Bénaki.  
 
Paris (1909-1912) : De la peinture à l ‘architecture
 
Influencé par les œuvres de Cézanne, il quitte alors Munich pour Paris où il vivra de 1909 à 1912. Il suit des cours de dessin et de peinture avec Lucien Simon à l’Académie de la Chaumière de Bourdelle, visite régulièrement les Musées et connait les maîtres français. Par la suite, Pikionis s’inscrit à l’atelier de l’architecte Jules-Léon Chifflot  et suit des cours de compositions architecturales à l’École des Beaux Arts.
 
« Je n’ai pas honte de parler de tout cela, qui montre que dans ma nature, le vrai centre de ma vocation, ce n’était pas l’architecture, mais la peinture », dit Pikionis en 1958. (Tsiomis, 2019)
 
Son inscription à la section d’architecture de l’École des Beaux-Arts de Paris est présentée comme nécessaire à l’acquisition d’un métier pour gagner sa vie. L’architecture est pour Pikionis « de l’action », comme il l’écrit, quand la peinture est de l’art pur.  (Pikionis, Textes, Athènes, MIET, 1987 dans Tsiomis, 2019),
 
De retour en Grèce, de 1912 à 1921, après avoir pris part à la Première Guerre mondiale, Pikionis continue à peindre, à décorer, à travailler comme graphiste et à arpenter les paysages de l’Attique, à découvrir l’architecture rurale des environs et des îles du golfe Saronique, Égine surtout. À partir de 1921 enfin, il travaille comme architecte et devient assistant à l’École d’architecture de l’École Polytechnique, auprès de l’architecte-archéologue Anastasios Orlandos.
 
En 1925 il épouse Alexandra Anastasiou 1925) avec laquelle il a eu cinq enfants.
 
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Pikionis avec quatre de ses cinq enfants. Egine, 1937. Source: ERT/Paraskinio
 
Entre modernisme et tradition
 
Pikionis adopte une position ambiguë à propos du Mouvement moderne et du Quatrième Congrès International d’Architecture Moderne (CIAM IV) tenu à Athènes en août 1933, dont l’un des promoteurs fut Le Corbusier. [Adams, sur le livre de Ferlenga, 2000]. En 1933, Pikionis avec d’autres architectes grecs signe la Charte d’Athènes, le manifeste du modernisme, cependant, il n’a pas embrassé complètement le nouveau mouvement. [Sartoti, 2010]
 
En 1933, avant le Congrès,  Pikionis publie un court texte, dans lequel il expose sa propre vision de l’architecture moderne en relation avec les conditions culturelles et climatiques spécifiques du chaque site, tout en se moquant sournoisement de l’universalisme aplati et du béton gris du mouvement moderne. Dans le propre travail de Pikionis, la typologie de l’architecture moderne s’ouvre aux inspirations vernaculaires et à l’environnement naturel – d’où proviennent toutes les formes culturelles. (Documenta14, 2017)
 
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Pikionis, dessin pour le centre de Delphes, 1934. Source © Musée Bénaki  
 
Bien qu’en 1935 il adopte définitivement les formes régionales, il fait néanmoins partie du comité de rédaction de la revue « moderniste » Le Troisième Œil (to Trito Mati en grec) (1935-1937), équivalent grec des Cahiers d’art de Christian Zervos. À part nombre d’auteurs grecs, To Trito mati publie des traductions, articles sur des auteurs tels qu’Apollinaire, Bergson, Claudel, Joyce, Jarry, Mallarmé, Dujardin, Ruskin etc. et offre une iconographie d’artistes et architectes comme Cézanne, Rodin, Kandinsky, Klee, Mendelsohn, Le Corbusier, Picasso, Braque, Léger, Gris et Giacometti. Et comme il se doit, l’art cycladique, les masques africains, les tissages paysans, l’art japonais sont présents. (Tsiomis, 2019)
 
Selon ses biographes, la «Grécité » pour Pikionis ne constituait que l’une des multiples expressions de l’universalité (Philippides, 1984). En effet, Pikionis était à la recherche de l’architecture « unique et commune » qui puiserait des éléments de toutes les traditions culturelles connues, unissant l’Occident et l’Orient, l’antiquité et la modernité. (Tsiambaos, 2018)
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Pavillon d’art populaire,  Faliro, 1938. Architecte: Dimitris Pikionis. Source © Musée Bénaki  
 
Le grand projet : La promenade autour de l’Acropole (1954-1958)
 
Ses créations entre 1921 et 1964 comprennent  notamment des maisons, deux écoles, l’hôtel Xenia à Delphes  et un terrain de jeux pour enfants. Entre 1925 et 1966, il écrit plus de 1000 textes, sur des sujets aussi divers que l’art populaire, l’esthétique, le paysage, la tradition, l’architecture ou la peinture, mais aussi des poèmes. (Petridou, 2014)
 
 
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Les pavés de Pikionis sur  la colline de Filopappou. Photo: Helen Binet. Source © Musée Bénaki  
 
Dans les années ’50, Pikionis travaille sur la formation du site archéologique autour de l’Acropole et de la colline Philopappou (1954-1957), sans doute son projet le plus important (désigné comme monument architectural classé par l’UNESCO), et le pavillon touristique de Saint Dimitrios Loubardiaris.
 
Le parcours qu’il dessine sur la colline permet toujours à la fois des vues dégagées et des temps d’arrêt. Il utilise les matériaux qu’il trouve sur place, des marbres récupérés, du 19ème siècle, mais  aussi des marbres antiques. Il mobilise ces détails pour entretenir la curiosité des visiteurs.  Dans ce projet, la plus célèbre des œuvres de Pikionis, on constate un système de jeux optiques qui  relie les bâtiments anciens le Pnyx, l’Odéon d’Hérode Atticus, l’Acropole) et nouveaux d’Athènes avec la nature. (Tsiambaos, 2018)
Pikionis est décédé à Athènes le 28 août 1968.

Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr

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Saint Dimidrios Lourbardiaris, dessin de PikionisSource © Musée Bénaki  

 

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M.V.
 
 

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