Ino Afentouli est directrice exécutive de l’Institut des relations internationales (IDIS), le principal institut de recherche universitaire de Grèce, affilié au département d’études internationales et européennes de l’université Panteion des sciences sociales et politiques. De 2002 à 2022, elle a occupé le poste de gestionnaire de programme à la division Diplomatie publique de l’OTAN. À ce titre, elle était responsable de la conception et de la mise en œuvre de la stratégie de communication de l’Organisation à l’égard des États membres du flanc sud ainsi que des pays partenaires du Caucase et de l’Asie centrale.

Avant de rejoindre l’OTAN, elle était journaliste spécialisée dans les affaires étrangères et européennes et a travaillé pour des médias grecs (Kathimerini daily, Sky Radio, Star Channel, Athens News Agency) ainsi que pour l’édition grecque de l’Economist Intelligence Unit. Pour son travail, elle a reçu le prix Calligas attribué par l’Association des journalistes européens. Elle a étudié le droit à l’université d’Athènes et les sciences politiques et la communication politique à l’université de Paris I – Sorbonne et Paris II.

Elle est l’auteur de trois livres et de nombreux articles et est membre fondateur du Forum israélo-hellénique et du Forum gréco-turc.

A l’occasion de la sortie de son dernier livre “Diplomatie Publique” chez les Editions « Evrasia » Ino Afentouli a accordé un entretien à Grèce Hebdo* et à Greek News Agenda* concernant la diplomatie publique au niveau national et international, l’image de la Grèce ainsi que le rôle de la diplomatie publique dans la politique étrangère du pays.  

D’après votre expérience en tant que responsable de programme à la direction de la diplomatie publique, comment les organisations internationales sont-elles affectées par la multipolarité croissante du système international et la détérioration du multilatéralisme ? Comment ces organisations peuvent-elles mener une diplomatie publique efficace dans ces conditions ?

Les organisations internationales – l’ONU, l’OTAN, l’UE et d’autres plus petites comme l’OSCE, l’OCDE, l’ASEAN – sont composées de nombreux États membres et opèrent dans un environnement multinational. La pluralité n’est pas une nouveauté dans leur structure et leur fonctionnement, c’est pourquoi la pratique de la diplomatie publique a toujours eu un arrière-plan de multilatéralisme dans sa planification et sa mise en œuvre. L’environnement international n’a jamais été monophonique. Par exemple, à l’époque de la guerre froide, il y avait deux blocs dominants qui exerçaient une influence sur l’environnement international en fonction de leurs capacités. Dans l’après-guerre froide, la scène internationale s’est enrichie d’un plus grand nombre d’acteurs et d’activités de communication correspondantes.

La différence la plus importante par rapport à ce qui se passe aujourd’hui est peut-être le fait que nous avons à nouveau des acteurs puissants sur la scène internationale, tels que les États-Unis et la Chine, qui tentent d’exercer une influence presque sur un pied d’égalité. La domination des États-Unis en matière de communication a été un fait acquis pendant de nombreuses décennies, non seulement parce que la politique étrangère américaine accordait une grande importance à la diplomatie publique, mais aussi parce que le modèle américain était exportable et attrayant pour des millions de personnes en dehors des États-Unis. Et c’est toujours le cas. La Chine tente de proposer un modèle alternatif, mais il n’est pas comparable. 

Quant aux organisations multilatérales, leurs efforts de communication ont toujours servi les priorités politiques fixées par leurs membres. La mise en œuvre des stratégies de communication, avec les moyens dont elles disposent, relève de la responsabilité de leurs agences. Il est en effet plus complexe de mener une diplomatie publique aujourd’hui, non pas tant en raison de la prolifération des protagonistes sur la scène mondiale, mais surtout en raison de l’environnement communicationnel créé par l’omnipotence des médias sociaux. Il y a beaucoup d’acteurs et souvent le discours des institutions est considéré comme une “lngue de bois”, inflexible et non-pertinente par rapport à l’environnement des médias sociaux. Elles sont donc obligées de s’adapter en utilisant les médias sociaux pour leur communication, mais souvent en coopération avec des influenceurs qui sont les leaders de ces médias.

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L’un des cinq piliers du plan stratégique 2020-2025 du ministère des Affaires étrangères est la “promotion et l’avancement des positions de la Grèce en matière de politique étrangère ainsi que de l’image internationale du pays” une formulation qui fait référence à la diplomatie publique. Quelles sont, selon vous, les prochaines étapes à franchir pour que le pays développe entièrement l’outil de la diplomatie publique ?

Il est très positif que la diplomatie grecque mette également l’accent sur cette dimension. Pour la Grèce, la projection de la puissance douce devrait être une dimension clé de sa politique étrangère car c’est un pays pacifique, engagé dans les principes du droit international et sans tendances révisionnistes par rapport aux pays de la région. En outre, ses caractéristiques fortes et distinctives sont acceptées dans le monde entier. Je fais référence à sa culture, à son histoire, au lien entre la civilisation occidentale et l’antiquité, et à sa beauté naturelle. La Grèce a originellement une empreinte positive sur la communauté internationale. Cependant, si cela n’est pas associé à une communication stratégique méthodique et durable, cette image elle-même n’est pas suffisante pour défendre les points de vue du pays auprès des publics internationaux et, surtout, pour gagner leur acceptation.

Il est important pour la Grèce d’avoir une bonne image auprès de ses millions de visiteurs et d’un nombre beaucoup plus important de visiteurs potentiels par le biais d’actions de communication liées au tourisme. Mais cette image positive exprimée dans les médias sociaux des visiteurs ne se traduit pas automatiquement par un soutien aux questions dont la Grèce a besoin sur la scène internationale. Afin d’obtenir un tel soutien, la diplomatie grecque devra développer un effort très systématique pour atteindre les audiences internationales à la fois par les moyens traditionnels de la diplomatie publique et par les moyens technologiques modernes.

Pour qu’un tel effort soit couronné de succès, ses principaux axes doivent être alignés sur la stratégie et les priorités nationales. Les administrateurs qui seront appelés à le développer devraient également savoir à quels publics ils s’adressent. Il ne s’agit pas d’un effort, il faut le souligner, qui implique uniquement les ressources humaines du ministère des Affaires étrangères, mais aussi d’autres ministères et agences des secteurs public et privé, car souvent des exemples très réussis de diplomatie publique sont le résultat de l’action d’organisations non gouvernementales.

Certains, notamment en Grèce, identifient la diplomatie publique à la diplomatie culturelle. Êtes-vous d’accord avec cette perception ou pensez-vous qu’il existe d’autres aspects de la diplomatie publique, tout aussi importants, qui peuvent être mis en évidence ?

La diplomatie culturelle fait partie de la diplomatie publique et doit s’inscrire dans les priorités de la stratégie nationale définie par le gouvernement en place. Dans le cas de la Grèce, elle peut être un outil très efficace de diplomatie publique, car elle permet de projeter une puissance douce. En particulier pour la Grèce, avec son héritage culturel, la diplomatie culturelle peut servir de moyen pour augmenter l’acceptation du pays par les publics internationaux.

Il convient toutefois de noter que la promotion du patrimoine culturel doit se faire par des moyens modernes. L’Antiquité est un produit culturel très puissant, mais la Grèce devrait également promouvoir son visage moderne, ses créateurs dans tous les domaines – littérature, théâtre, musique, cinéma, etc. La diplomatie culturelle est exigeante et coûteuse, elle nécessite des ressources qui, si elles sont correctement allouées, peuvent s’avérer très rentables. Dans ce domaine, le partenariat public-privé est absolument essentiel.

Moralis Yannis (1916 – 2009) – Peinture composition-commentaire pour le recueil Poèmes de George Seferis (Editions Ikaros 1965) Source : nationalgallery.gr

Quel est le rôle de la diaspora grecque, et surtout de “la nouvelle diaspora grecque” qui a quitté le pays après 2009, concernant la promotion des points de vue grecs et de l’image du pays à l’étranger?

La diaspora grecque, étant donné sa taille, à la fois en termes de population et de géographie, devrait devenir une super arme de la diplomatie publique grecque. Pour ce faire, elle devrait être utilisée comme un immense réseau mondial qui agira de manière autonome mais en harmonie avec les objectifs de la politique étrangère grecque. Les autorités grecques à l’étranger devraient jouer un rôle de premier plan en fournissant aux organisations, aux réseaux et aux communautés diasporiques des documents susceptibles d’être diffusés. La mobilisation de la diaspora autour d’objectifs spécifiques et avec des outils spécifiques portera ses fruits si elle se fait en harmonie avec les objectifs de l’État grec. La technologie offre aujourd’hui des possibilités de communication et d’interconnexion très efficaces qui facilitent la coordination et la décentralisation. Nous devons atteindre les jeunes générations et les convaincre de s’engager pour la Grèce à travers leurs réseaux sociaux et professionnels, qui ne sont pas exclusivement grecs.

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On constate, récemment, des efforts concertés vers la normalisation des relations gréco-turques. Quel peut être le rôle de la diplomatie publique dans ce processus ?

L’apaisement des relations gréco-turques facilite la communication de la société civile qui, il faut le souligner, n’a pas cessé d’exister. Indépendamment de nos différences, les deux peuples ont beaucoup en commun en raison de leur histoire et de leur géographie. Ils sont affectifs, ils sont méditerranéens, ils vivent dans un environnement naturel qui présente de nombreuses similitudes. Si des contacts plus étroits sont développés entre des catégories ayant des intérêts communs, telles que la communauté universitaire, les journalistes, les hommes d’affaires et d’autres groupes professionnels, le rapprochement et l’échange de vues se refléteront au niveau politique. La dimension de la société civile dans le dialogue politique ne doit pas être sous-estimée.

Quelle est, selon vous, l’image internationale de la Grèce aujourd’hui, alors que la crise économique est enfin derrière nous ? Quels sont nos points forts et dans quels domaines ? Y a-t-il une marge d’amélioration ?

L’image de la Grèce a été restaurée grâce au retour à la normale, au bon taux de croissance et à l’afflux massif de touristes. C’est un pays à l’image positive, considéré comme un partenaire fiable de la communauté occidentale en tant que membre de l’OTAN et de l’UE. Son soutien à l’Ukraine a également contribué à sa position internationale en dissipant les doutes quant à son orientation occidentale. Cependant, pour que l’image de la Grèce soit profonde et durable, elle doit être cultivée de manière systématique et dans une perspective à long terme. Rien ne doit être laissé au hasard. La diplomatie publique grecque doit être organisée sur la base de moyens modernes, d’une stratégie cohérente et de l’utilisation du potentiel du personnel afin que ce qui est actuellement un produit brut – la bonne image – puisse acquérir de la profondeur et de la durabilité.

*Entretien accordé à Ioulia Elmatzoglou (GrèceHebdo) et à Ioulia Livaditi (Greek News Agenda)

Lire aussi un entretien de Nicholas J. Cull, professeur de diplomatie publique à «University of Southern California’s Annenberg School for Communication», à Greek News Agenda sur le «nation branding» et la diplomatie culturelle.

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