Le film  Meltem de Basile Doganis ambitionne de participer au Festival de Cannes, tourné à Lesbos grâce à une coopération franco-hellénique. Il s’agit de la société de production grecque Blonde et de la société de production française Elzévir Films, dont Denis Carot est le gérant-producteur. Deux mois avant le festival, l’équipe travaille fiévreusement pour finir la post-production qui se fait en Grèce.
Nous avons rencontré* Denis Carot, initiateur du projet avec Basile Doganis, qui nous a expliqué, comment est née l’idée du projet et surtout comment s’est passé le tournage sur l’île, où la présence des migrants continue à être très importante. Il a tenu à souligner qu’il ne s’agit pas d’un documentaire mais d’une fiction dans laquelle la vie de l’île est bien sûr reflétée.

Quelles sont les raisons qui vous ont amené à choisir la Grèce, et plus précisément l’île de Lesbos ?

Au départ, cela s’est fait tout naturellement étant donné que c’est nous qui avons développé ce projet avec Basile Doganis, le réalisateur et scénariste de ce film, Basile est franco-grec, d’abord grec, greco-français ! Il a écrit ce scénario qui se déroule entièrement à Lesbos. Il s’agit de l’histoire de trois jeunes français, le personnage principal est une jeune femme franco-grecque qui retourne à Lesbos avec deux amis, tous les deux français mais issus de l’immigration, l’un d’origine nord-africaine et l’autre d’Afrique de l’Ouest. On comprend au départ du film qu’elle vient vendre, à Lesbos, la maison de sa mère grecque qui est décédée un an auparavant. Il reste son beau-père avec qui elle ne s’entend pas. Les jeunes pensent qu’ils vont passer d’agréables vacances mais l’action se situe en juillet 2015 au moment où le premier gros flux de migrants arrive sur l’île de Lesbos. Les trois héros vont rencontrer un quatrième personnage, un jeune migrant qui leur fait croire qu’il est espagnol mais ils vont vite découvrir qu’il est en réalité Syrien et cherche à passer sur le continent pour retrouver sa mère qui est probablement dans un camp de réfugiés, ils vont donc essayer de l’aider. Ce film est intéressant en cela qu’il interroge sur la question de l’identité, des racines parce que chacun a une histoire particulière. Le fait de se retrouver en terre étrangère, confrontés à des problèmes d’immigration. Mais ce n’est pas un drame enfin, au départ c’est une comédie qui se transforme peu à peu en drame, il y a un moment où tout bascule. C’est l’histoire de ces jeunes qui se retrouvent dans ce contexte qui est en soi très dramatique. Où est ce que cela les amène dans leur réflexion et où cela nous a mène, nous aussi? Ce film les pousse et nous pousse à réfléchir.
 
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 Karam Al Kafri, Lamine Cissokho, Daphne Patakia and Rabah Nait Oufella (film Meltem) © Chloé Kritharas Devienne 
 
Pourrait-on l’aborder comme un documentaire?
 
Non, c’est une fiction qui interpelle le réel. J’ai découvert également à cette occasion que la plupart des habitants de Lesbos sont aussi des migrants, ils viennent pour beaucoup d’Asie Mineure. Le beau-père d’Elena, l’héroïne, interprétée par Daphné Patakia, qui lui est grec et biologiste, travaille pour la police scientifique sur un programme pour recueillir l’ADN des migrants naufragés pour que les familles puissent retrouver les corps des personnes décédées. Toute l’histoire tourne autour de cela.
 
Comment décririez-vous votre expérience de tournage en Grèce ? Surtout dans une île qui se trouve en première ligne du flux migratoire?
 
Alors, dans le film, les migrants sont un peu présents partout volontairement, encore une fois ce n’est pas un film sur les migrants. Quand les jeunes sortent de l’aéroport, dans la première séquence, ils sont en route pour la maison, ils passent par le port et ils voient de nombreux migrants agglutinés là et ils sont très intrigués par la présence de ces gens. Le beau-père explique qu’ils viennent d’arriver, que l’île est envahie de migrants. C’est là que nous avons eu un bon partenariat avec Fenia Cossovitsa, de la société Blonde, car c’est une situation compliquée localement et nous avions des craintes sur la participation de la municipalité lors de la reconstitution de scènes, mais en fait cela s’est bien passé. Les autorités locales se sont montrées très coopératives et ont accédé à nos demandes. Fenia, sans aucun doute, a été l’un de nos gros atouts.
 
Sur le tournage de Meltem
Sur le tournage du film “Meltem” © Chloé Kritharas Devienne (Liberation)
 
Parlez-nous de votre expérience avec les habitants de l’île ? Vous êtes restés longtemps sur l’île ?
 
Ils ont été très accueillants, très réceptifs, très positifs vis-à-vis de notre projet. Oui quand même, le tournage a duré six semaines, de début septembre à mi-octobre environ. Nous avons laissé passer la haute saison touristique pour être plus au calme et nous avons bénéficié de conditions climatiques idéales, c’est l’un des nombreux avantages de la Grèce. Nous avons eu beaucoup de séquences avec des figurants, nous avons reconstitué une fête traditionnelle dans un village. On a été très bien accueillis, les gens étaient très sympas. L’équipe était quasiment toute grecque, toute l’équipe technique, des personnes venant d’Athènes mais aussi d’excellents techniciens locaux car  d’autres tournages sont réalisés à Lesbos, dont le dernier film de Tony Gatlif avant nous. Mais surtout la qualité des équipes est primordiale, nous avons travaillé dans de nombreux autres pays qui travaillent différemment comme la Belgique, la Pologne, le Maroc et même le Tadjikistan mais l’organisation du travail en France est très similaire avec ce qui se pratique en Grèce. Et en plus ce sont de très bons techniciens, une bonne équipe est l’une des clés de la réussite.
 
Est-ce que vous avez utilisé du matériel technique grec ?
 
Pour le matériel de tournage, nous avons pris tout le matériel technique en Grèce à l’exception de la caméra afin de respecter un certain équilibre entre la France et la Grèce, nous devons avoir quelques dépenses françaises, c’est pour cela que nous avons pris la caméra et son équipement en France et tout ce qui est électrique et machinerie on l’a pris en Grèce.
 
A quel stade de la post-production vous trouvez-vous ? Pourquoi avez-vous choisi de la réaliser en Grèce ?
 
Nous avons terminé le montage images que nous avons fait en France. Maintenant, nous en sommes à l’étape de la post-production que nous réalisons en Grèce: montage son, film design, mixage, étalonnage, color grading et enregistrement de la musique. Nous espérons le présenter au Festival de Cannes en mai, le temps nous presse, nous devons être prêts fin mars car la concurrence est rude entre les premiers films.
 
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© Chloé Kritharas Devienne 
 
Parlez-nous de votre travail de co-production?
 
Il s’agissait d’une première expérience de co-production avec la Grèce, avec la société grecque Blonde, Fenia Cossovitsa qui nous a recommandé d’excellents prestataires en Grèce. Nous avions peu d’argent donc nous avons essayé d’optimiser l’allocation des ressources, les tarifs étant moins chers en Grèce qu’en France, cet enjeu économique a également guidé nos choix. Nous avons essayé d’atteindre un certain équilibre. Avec Fenia, les choses sont allées très vite, elle s’est décidée très rapidement, de manière très professionnelle, il y a eu pas mal d’argent grec puisque nous avons eu l’aide du Centre du Cinéma Grec pour les coproductions minoritaires, on a eu ensemble le mini traité franco-grec et peut-être aurons-nous une participation de la télévision grecque. Une relation de confiance s’est très vite installée entre nous, les choses se sont enchaînées sans anicroche dès le feu vert final. Fenia s’est occupée des repérages, de trouver l’équipe technique, c’est elle également qui a proposé le jeune chef opérateur grec, Konstantinos Koukoulios, il s’agit de son second film. Tous les postes importants étaient occupés par des grecs. L’aspect financier a joué aussi un grand rôle parce que les salaires et les charges sont moins élevés en Grèce, nous n’aurions pas pu réaliser le film en France avec notre budget.
 
Il y a trois mois, vous avez rencontré le Secrétaire Général à l’Information et la Communication Lefteris Kretsos, ici, à Paris. Il vous a parlé de la nouvelle loi d’incitation pour les tournages en Grèce. Avez-vous pu bénéficier de ces aides ?
 
Hélas non, car le tournage a eu lieu avant le vote de la loi. Ce sont d’excellentes mesures, surtout si la Grèce se trouve en concurrence avec d’autres pays par exemple en cas de séquences tournées dans plusieurs pays. Grâce à ces avantages financiers, l’arbitrage se ferait en faveur de la Grèce. Après, pour que la co-production soit officialisée et puisse bénéficier de ces incitations, un financement grec d’au moins 20% est nécessaire. Cela reste une excellente initiative.
 
Est-ce que vous envisagez une prochaine production en Grèce, un autre film avec Basile ?
 
Pourquoi pas. On peut aussi envisager le contraire avec une production grecque et une co-production française, et une nouvelle collaboration avec Blonde Audiovisual Productions.
 
Reviendrez-vous en vacances en Grèce ?
 
Je ne sais pas encore, j’ai fait de nombreux allers-retours récemment et s’était très agréable. J’ai pu profiter de l’hospitalité des grecs, goûter la savoureuse cuisine, surtout à base de poissons grillés et faire honneur à l’ouzo, la célèbre boisson locale ! Ce n’était pas ma première expérience en Grèce, j’ai dispensé durant trois années consécutives des cours de gestion de projets culturels à l’Institut français d’Athènes, j’ai apprécié la douceur de vivre en Grèce.
  
* L’entretien a été accordé au Bureau de Presse de l’Ambassade de Grèce en France.
 
INFOS
Meltem, film réalisé par Basile Doganis
Comédiens: Daphné Patakia, Rabah Naït Ouffela, Lamine Cissokho, Karam Al Kafri, Akis Sakellariou et Féodor Atkine.
Musique originale: Kyriakos Kalaitzidis et Hockyn.
Production: Elzévir Films et Blonde Audiovisual Productions (2018)
 

M.V.

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