Stathis Kalyvas est professeur de science politique à l’université de Yale aux Etats Unis. Au début des années 2000, il a participé avec Nikos Maratzidis, professeur de science politique à l’université de la Macédoine, à un débat sur l’origine et la nature politique de la guerre civile grecque (1946-1949) en proposant un régard différenciée des lectures proposées par les historiens et les chercheurs proches de la gauche. Ce régard a suscité un bon nombre de polémiques au sein des milieux académiques et a mis à l’ordre du jour l’ examen de nouveau du passé récent.  Tous les deux ont publié en 2015 «23  questions et réponses sur la guerre civile» pour discuter de nouveau des «passions» nourries au cours de la décennie difficile des années 1940. De plus, Kalyvas a récemment publié “Modern Greece: What Everyone Needs To Know”.

GrèceHebdo publie ici en français une interview accordée à Rethinking Greece (Greek News Agenda), le 27 janvier.

– La Grèce des années ’40 (occupation allemande, résistance, guerre civile) fait l’objet d’un retour fréquent chez les historiens grecs  notamment au fil de ces dernières quinze années. Pourquoi ce débat persiste-t-il?  A quell point reflète- t-il des discours politiques de nos jours centrés sur la crise actuelle?

– Je dirais que ce débat persiste pour les mêmes raisons que les français continuent leur propre débat sur la révolution française et les americains sur la guerre civile américaine. Il s’agit des questions critiques au sein de l’histoire d’une nation vouées à susciter un débat public quasi permanent. Cela ne va pas dire que la recherche savante n’avance pas mais qu’elle n’est pas capable de se prononcer de façon définitive sur des questions à caractère publique ou politique. Au fil de la crise, il est vrai que  les arguments partisans n’ont cessé de gagner du terrain à propos des références politiquement colorées liées à la guerre civile. Le rôle central  de l’Allemagne dans la crise actuelle a offert une opportunité  unique aux politiciens populistes et aux “opinions-leaders”  de faire un amalgame entre les  Allemands d’aujourd’hui, les Allemands Nazis et les collabos grecs de l’époque.  Ce type de discours s’est avéré d’une utilité importante pour la montée rapide de SYRIZA vers le pouvoir mais enfin il a perdu de son poids particulier lorsque SYRIZA a cédé à la politique de l’austerité.

La gauche dans le discours du centre-droite se voit taxée de populisme. Il paraît que vous partagez cette approche de plus en plus et not mment suite  à  l’ évolution récente de SYRIZA obligé de faire des concessions envers les créanciers du pays.

 – Le populisme est un terme largement débattu par les sociologues et les politologues. Il comporte  notamment une analyse politique et un discours politique qui font la diffèrenciation entre la catégorie nebuleuse du «peuple» -où grosso modo tout le monde y appartient- et  une toute petite élite. Dans le cas grec, ce type d’analyse a compris la crise à travers un discours qui parle de quelques politiciens et entrepreneurs corrompus, responsables d’une dette excessive  nourrie également par l’attitude des puissances étrangères. Une telle approche ignorant les problèmes de l’économie grecque ne rend pas compte du décalage entre la productivité réelle du pays et le niveau de vie dont la société bénéficiait pendant les dernières années. A mon avis, le dépassement de la crise présuppose la réconnaissance de ces réalités.

–  Dans votre récent livre sur la Grèce, ‘’ Modern Greece: What Everyone Needs To Know, vous estimez que le pays constitue,  malgré tout, sur le plan macrohistorique un « succes story ». Comment la crise prolongée affecte l’identité nationale et la perception du soi chez les grecs?

-La crise ne constitue pas un processus unifié et par conséquent elle touche les perceptions publiques de diverses manières au cours de ces six dernières années. J’ai l’impression qu’après une période de refus, on traverse une nouvelle phase de réconciliation qui constitue une condition sine qua non afin d’effectuer des réformes nécessaires. Quel sera l’aboutissement de ce processus, cela constitue une autre histoire. En tout cas, si la Grèce réussit, cela aura des retentissements positifs sur la construction des perceptions collectives des Grecques en soulignant leur capacité d’autocorrection (faiblement dévellopé actuellement)  dans une conjoncture difficile.

Interview accordée à Nikos Nenedakis

Traduction de l’anglais: Costas Mavroidis

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