Rencontre avec le président de l’Académie d’Athènes.
 
Thanassis Valtinos, auteur grec contemporain parmi les plus importants et représentatifs de sa génération est le nouveau Président de l’Académie d’Athènes. Abondamment traduit à l’étranger, Valtinos, né en 1932, nous offre une œuvre remarquable qui tire ses principales sources d’inspiration de l’histoire dure et douloureuse de la société grecque au cours du XXème siècle. Εcriture minimaliste qui évite le vocabulaire mélioratif pour viser à travers le minimum des mots  l’ essentiel des moments humains .
D’ ailleurs, il est à noter que Valtinos n’est pas originaire des îles ensoleillées de la mer Egée, mais enfant de la Grèce profonde en Arcadie (province de Kynourie) où la dureté du paysage et le côté montagnard péloponnésien affectent sa manière d’écrire toute en  formant sa capacité à tenir le coup face à l’adversité, comme lui-même nous l’affirme   dans un entretien accordé à  GrèceHebdo * et Greek News Agenda *. 
 
Ce n’est pas un hasard si Valtinos rencontre l’autre grand «montagnard» de la Grèce profonde, le metteur en scène Theo Angélopoulos avec lequel il collabore dans plusieurs scénarios. «Le voyage à Cythère» obtient le  Prix du Scénario à Cannes, en 1984 et reste l’un des meilleurs de Theo comme d’ailleurs son premier «La reconstitution» (1970) où Valtinos y est aussi présent. 
 
Sa bibliographie en français est abondante. Il faut retenir, Bleu nuit Presque noir, aux éditions Hatier (1992), Vie et aventures d’Andréas Kordopàtis (‘’Dans les années 1910 en Grèce, l’espoir se nomme Amérique’’) aux éditions Climats (1993), La marche des neuf, (Actes Sud,1994),  récit de neuf partisans de l’ Armée Démocratique (communistes) en déroute dans le Péloponnèse à la fin de la guerre civile et Eléments pour les années soixante  (Actes Sud,1994), où la radio devient l’ outil de l’auteur pour les demandes d’ émigration vers l’ Australie. L’imaginaire collectif est secoué par son Orthokosta paru en 1994, où Valtinos se réfère cette fois à la «violence des  rouges » face à leurs ennemis  au moment de l’occupation allemande dans un monastère de Péloponnèse, œuvre qui suscite une grande polémique au sein des milieux des intellectuels de gauche.
Nombreux sont les prix attribués à Thanassis Valtinos.
 
GrèceHebdo et Greek News Agenda l’ont rencontré à l’Académie d’Athènes en présence également du poète Yiorgos Chouliaras.
  
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Par quel livre invitez-vous votre lecteur à commencer à découvrir votre œuvre?
Question inattendue. Sans doute le lien de mes bouquins avec l’histoire privilégie un certain ordre chronologique . Je proposerais donc Vie et aventures d’Andréas Kordopàtis, pour remonter au début du XXème siècle.
 
Avez-vous des livres préférés?
Βien évidemment. Mais je ne peux pas les avouer, comme le fait une mère qui ne dit jamais publiquement quel est son enfant préféré.
 
Est-ce que la littérature respecte la vérité historique?
Littérature et histoire renvoient à deux univers différents. Toutefois lorsque la littérature utilise l’histoire de façon intéressée à des buts «nοn littéraires », en résulte quelque chose de l’ordre de la mauvaise littérature. L’auteur doit rendre compte de la vérité historique en fonction de sa propre vérité qui est la vérité littéraire.
 
L’«homme populaire» occupe une place centrale dans votre œuvre. Pourquoi?
Je ne suis pas intéressé par les personnages héroïques. Ce qui m’ attire, c’est l’homme ordinaire, l’homme de tous les jours, l’homme simple qui a éprouvé de la souffrance.
 
Que devient cet homme après la dictature des colonels?
Je trouve qu’il a beaucoup changé en suivant la transformation de la société grecque dans son ensemble. Je garde le souvenir des gens qui savaient avant spontanément chanter et danser. Et puis ils se trouvaient collés à l’écoute de la radio et à la force de la télé tout en perdant leur capacité linguistique. Après la dictature, . cet homme dont je parle  est devenu mou et s’est exposé à un esprit de surconsommation. D’où une libération sur le plan intellectuel qui va pour ces gens vers la mauvaise direction. Ce qui a le plus manqué à l’ homme de tous les jours, c’est une sorte de discipline spirituelle. Je ne sais pas si en tant que nation, nous sommes aujourd’hui en mesure de produire des consensus comme nous avons pu produire auparavant par exemple au moment de l’invasion des Italiens en 1940. A l’heure actuelle de la crise, l’homme ordinaire est devenu la victime de la manipulation des élites politiques et il ne réagit que de façon restreinte et fragmentaire lorsque par exemple il y a une baisse des retraites. La littérature peut certes jouer son propre rôle mais le nombre de ses initiés reste limité et la mauvaise littérature ne cesse de gagner du terrain chez l’homme ordinaire.
 
Comment avez-vous fait le choix de la littérature?
Fruit du hasard (rires). Nous avons vécu notre adolescence sans être guidés par l’école, dépourvus de profs qui pourraient nous indiquer la qualité d’un Séféris ou d’ un Elytis. J’ ai commencé par Kazantzakis et j’ en étais vraiment ébloui . Puis à la bibliothèque de Tripolis (capitale de la région d’ Arcadie), l’ œuvre de Grigorios Xenopoulos et toute la littérature pornographique de la France.  (rires). Mais tout cela par moi-même et sans l’aide de personne.
 
Que signifie être montagnard, originaire de la Grèce profonde?
J’y ai vécu l’occupation allemande, la guerre civile pendant mon adolescence dans le Péloponnèse . Je parlerais à propos du «côté  montagnard» d’ une capacité à tenir le coup face à l’ adversité.
 
Qu’est-ce que vous aimez le plus en Grèce et plus particulièrement chez les grecs?
Peu de choses, mais il s’agit de choses que j’aime énormément.
 
Par exemple?
Le sens de la simplicité et une réaction directe face à des situations difficiles. Et puis un sentiment de dignité visible surtout chez les gens d’un certain âge.
 
Et pour ce qui est de votre orientation politique?
J’ai suivi une certaine tradition familiale située au centre de l’échiquier politique. Οutre cela, je suis tombé par instinct sur des textes fascinants qui m’ont beaucoup influencé tel que la Bible, dans la mesure où je considère l’Ancien Testament comme l’ un des textes les plus poétiques et érotiques qui m’ ont marqués à jamais. Et puis les chants démotiques et ces chansons mélancoliques typiquement grecs et collectifs qu’on appelle «mirologia». A tout cela à rajouter, les mémoires des militaires de la guerre d’indépendance contre les Ottomans, à savoir Kolocotronis, Nikitaras etc.
 
Pour en finir une question pour l’ Académie d’ Athènes: quels sont vos projets?
En tant que Président , je tiens à ouvrir cette institution au grand public à travers des colloques, de la littérature, et l’ art afin que l’ Académie ne soit plus vue comme un monastère fermé. Toutefois l’ absence des moyens financiers reste un problème primordial.    
 
* Entretien accordé à Costas Mavroidis et Magdalini Varoucha (Grèce Hebdo), Nikos Nenedakis (Greek News Agenda) en présence également du poète Yiorgos Chouliaras. 
 
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