Kostas Vergopoulos, né à Athènes en 1942, docteur d’État des sciences économiques de l’université de Paris-I Sorbonne, est professeur des sciences économiques à l’Université Paris-VIII et écrivain de plusieurs livres. Ses articles sont régulièrement publiés à la Presse internationale. On a discuté avec lui sur l’avenir de l’Europe et de la place de la Grèce dans un nouveau contexte qui semble émerger, mais aussi sur les enjeux des prochaines élections présidentielles en France.

Il ne fait guère doute que l’Europe traverse une phase incertaine voire de décomposition. Selon vous est-ce que la construction européenne est encore en mesure de prendre un nouvel élan?

Il y a une chose qui est certaine, à savoir que les pays fondateurs tant de l’Union Européenne que de la monnaie commune, de l’euro, tiennent toujours à cette Union et que même s’ils mettent du temps pour prendre les mesures nécessaires à sa cohésion et sa pérennité, à son fonctionnement et sa réussite,  au final ils font tout pour éviter son éclatement. Tout comme Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne, qui depuis 2012 s’est engagé que son institution prendra toutes les mesures nécessaires, fussent elles « non conventionnelles », pour assurer le succès et la pérennité de la monnaie commune. Donc, si je m’inquiète de quelque chose, cela n’est pas tellement l’avenir de l’Union ni celui de la  monnaie commune, mais surtout le fait que leur pérennité n’est pas assurée d’avance et par des mécanismes européens conventionnels prévus par les Traités fondateurs, mais cela se passe la dernière minute, avec énormément des retards, avec des coûts toujours plus élevés et surtout, comme le Président Draghi lui même le reconnaît, par des mesures « non conventionnelles », à savoir non prévues par les Traités. Il faudra donc modifier en toute urgence les Traités fondateurs pour rendre l’ensemble européen plus cohérent et fonctionnel, plus rassurant et avec plus de visibilité.

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L’Europe à plusieurs vitesses est de nouveau à l’ordre du jour du menu européen. Quelles sont les opportunités et les menaces d’une telle perspective?

Une Europe à plusieurs vitesses n’est pas une nouveauté, puisqu’elle existe déjà au moins depuis le Traité de Maastricht (1992) sous la forme des « coopérations avancées » parmi les pays membres. La zone monétaire constituée est déjà un tel exemple, puisque ne participent de la monnaie commune que 19 pays sur les 28 de l’Union ou sur les 27 après le retrait du Royaume Uni. Néanmoins, si aujourd’hui les dirigeants européens pensent relancer cette idée qui existait déjà, j’imagine que cela serait pour permettre à certains pays de ne pas se soumettre instantanément aux décisions de Bruxelles, comme par exemple les 4 pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie) et surtout en ce qui concerne leur refus d’accueillir des flux migratoires. Toutefois, cela serait une concession grave face à la montée des pressions nationalistes, donc un éloignement des principes européens.  Je pense que l’Europe n’aura pas à gagner en cédant aux pressions nationalistes, mais au contraire elle devrait leur opposer plus de solutions européennes. D’autre part, j’imagine aussi que si certains pays sont autorisés de ralentir, cela voudra dire du même coup que d’autres ont l’intention d’accélérer, notamment ceux de la zone euro. Je pense qu’il est temps que la zone euro se dote d’un Fonds Monétaire Européen et qu’il y aura une prise en charge des dettes excessives des pays membres de la monnaie commune. N’oublions pas que la zone euro est actuellement la région la plus endettée dans le monde, avec une dette totale qui dépasse 100% de son PIB. Dans tous les cas pareils, les Banques centrales des pays du monde s’occupent d’alléger leurs économies respectives du poids des dettes pour permettre à leurs économies de redémarrer. C’est le cas de la FED aux États Unis, de la BoJ au Japon, de la Banque centrale en Chine. En zone euro, puisque les mécanismes des transferts stabilisateurs parmi les pays membres sont toujours refusés par l’Allemagne, il est temps d’y substituer d’autres mécanismes équivalents et qui n’alourdissent pas les charges pour les contribuables. Mais pour y arriver, il faudra certainement plus d’Europe et non moins. Il faudra surtout un rôle plus important pour les institutions européennes. Un tel exemple serait l’émission des eurobonds par la BCE ou l’ESM, financés bien sûr par les marchés et sous la garantie de l’ensemble de la zone monétaire. Un autre exemple serait également la prise en charge par le BCE ou l’ESM des dettes publiques dépassant le seuil de 60% du PIB. Le troisième point est sans doute l’abandon des politiques d’austérité qui en fait entrainent des effets récessifs pour l’ensemble de la zone. L’euro ne pourra jamais concurrencer le dollar pour devenir une monnaie de réserve mondiale tant que l’économie européenne n’est pas relancée.  De toute façon, il y a une urgence pour lancer des nouvelles mesures et politiques européennes, car l’Europe frôle déjà la stagnation et avec des taux de chômage très élevés, ce qui alimente déjà la déception des couches populaires et la montée des contestations et des populismes de droite dans un nombre croissant de pays européens. L’Europe n’est pas condamnée de disparaître, elle a un avenir, mais à condition de tenir les promesses de ses fondateurs. Le Traité fondateur de Rome de 1957 promettait la convergence des niveaux de vie de l’ensemble des pays membres.  Si aujourd’hui certains pensent pouvoir remplacer le principe de la convergence par celui de la divergence, l’Europe n’aura plus d’intérêt pour les peuples. Je pense que le succès de l’Europe réside toujours dans la voie de « plus d’Europe » et que le retour aux solutions nationalistes ne serait qu’une régression, y compris pour ceux qui aujourd’hui réclament la sécession.

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Est-ce qu’il y aura une place pour la Grèce dans ce nouveau cadre?

Récemment, il y a seulement quelques semaines, la premier ministre français Bernard Cazeneuve et la chancelière allemande Angela Merkel ont reconnu dans leur communiqué commun que la Grèce appartenait « au cœur » de l’Europe. Ce qui est d’ailleurs très naturel, vue l’importance historique, culturelle et géopolitique de la Grèce dans un voisinage en pleine ébullition et incertitude. Souvent, j’ai l’impression que les Européens ou les Américains entretiennent une bien meilleure image de la Grèce contemporaine que celle qu’intériorisent les Grecs pour eux mêmes.

La zone euro a-t-elle bénéficié de l’expérience du FMI dans la lutte contre les crises de dette publique ? Quel bilan dressez-vous plus particulièrement sur le rôle du FMI pour ce qui est de la crise grecque?

Le FMI capitalise déjà l’expérience tirée par la gestion des crises dans 180 pays du monde. Or dans le cas de la Grèce, le FMI s’est trouvé impliqué dans une gestion de crise choisie et imposée par les Européens et notamment par l’Allemagne. Le FMI a déjà prévenu que les programmes appliqués en Grèce étaient erronés, car ils suscitaient plus de récession que nécessaire et souhaitable. Surtout, le FMI met en avant la priorité de la relance de l’économie grecque qui à présent se trouve sous l’ombre d’une dette « non viable », à savoir impossible à servir, que les Allemands refusent toujours de restructurer et encore sous l’ombre de l’exigence d’un excédent budgétaire primaire de 3,5% du PIB. Il faudra que ces deux verrous sautent pour la Grèce puis se retrouver le chemin de la relance de son économie. Je pense que, malgré tout, grâce à l’insistance du FMI, ces deux verrous vont sauter et cela d’une façon ou d’une autre. Si un pays est surendetté, cela ne sert à rien de lui imposer des politiques d’austérité qui rendent le service de la dette encore plus difficile à assurer.

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Regard tourné vers la France. Quels sont, selon vous, les enjeux de l’élection présidentielle pour la France sur le plan économique, identitaire voire européen ?

La France, pays fondateur de l’Union Européenne, reste toujours le pays où se croisent tous les problèmes de la région européenne et toutes les influences entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest. Certes, il y a déjà une importante contestation du projet européen, mais surtout par l’extrême Droite et cela d’un point de vue souverainiste et nationaliste. Du côté de la Gauche, il y a surtout une contestation à partir des mauvais résultats sur le plan de l’emploi et du chômage, toutefois de ce côté il n’y a pas de contestation du projet européen, mais seulement des politiques d’austérité actuelles qui sont loin de consolider l’Union et sa place dans le monde. Sans aucun doute, l’élection présidentielle française sera un test important pour l’avenir de l’ensemble de l’Union. Toutefois, je pense que la contestation des politiques d’austérité actuelles reste toujours en France beaucoup plus importante que celle des euro-sceptiques qui souhaitent quitter l’Union en suivant l’exemple du Royaume Uni. Marine Le Pen surfe sur les problèmes brûlants des français, comme la question du chômage et la délocalisation des entreprises, mais en fait elle ne présente pas des propositions alternatives convaincantes. La France dispose d’un grand potentiel économique, politique et culturel, mais à présent son problème n’est surtout pas qu’elle soit soumise à Bruxelles, comme le prétend Marine Le Pen, mais c’est surtout qu’elle manque des dirigeants politiques à la hauteur de son potentiel. Malgré tout, pour en avoir, il me semble plus réaliste de les chercher à l’intérieur  du cadre européen qu’à l’extérieur, plus réaliste en cherchant à transformer et améliorer le fonctionnement de l’édifice européen qu’en le quittant. De plus et au vu des résultats électoraux récents aux Pays Bas, il semblerait que la contestation du projet européen est en train d’atteindre ses limites. Il est maintenant temps de repenser le projet européen au lieu de le quitter, surtout lorsque en Allemagne même se manifestent déjà et avec succès des nouvelles approches pour une Europe plus solidaire et avec plus de cohésion pour l’ensemble de l’Union et de la zone monétaire.

* Entretien accordé à Irini Anastopoulou, Kostas Mavroidis et Maria Oksouzoglou | Grecehebdo.gr

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