Androula Nassiopoulou est Directrice de Recherche à l’Institut des Nanosciences et Nanotechnologies (INN) du Centre National de la Recherche Scientifique « Démocritos » à Athènes, Grèce, et chef du groupe de Recherche « Nanostructures pour la Nanoélectronique, Photonique et Capteurs ».

En Novembre 2018, elle a reçu la « médaille de l’UNESCO pour sa contribution exceptionnelle au développement des nanosciences et des nanotechnologies » pour ses recherches en nanostructures de silicium pour nanoélectronique et capteurs. Elle était la seule femme parmi les dix lauréats du Prix 2018.

Dr. Nassiopoulou a obtenu son diplôme de physique de l’Université d’Athènes, son doctorat de Sciences de l’Université Paris XI (Orsay) et son Doctorat d’Etat de  l’Université de Reims (1985). En 1986 elle a été employée comme chercheur àNCSR Démocritos à Athènes, Grèce, et elle a dirigé l’Institut de Microélectronique du Centre (IMEL) de 1996 à 2009. Elle a été aussi fondateur et premier président de la société scientifique nationale « Micro et Nano », membre du Conseil d’administration de l’Institut européen de nanoélectronique (Sinano) pour 3 ans et présidente de l’Assemblée générale de cet Institut pour 6 ans.

À l’occasion de son récent prix, Dr Nassiopoulou a parlé * à Greek News Agenda sur l’évolution des nanosciences et de la nanotechnologie, les applications pratiques des nanostructures « Si (Silicium) », fabriqués par son équipe de recherche, ainsi que des perspectives de ce domaine scientifique.

Unesco
Jagadish Chennupati, Nassiopoulou Androula Galiouna et Esko Ilmari Kauppinen  sont parmi les 10 scientistes éminentes qui ont reçu le 8ème prix de l’UNESCO pour leur contribution au développement  de la nanoscience et de la nanotechnologie (novembre 2018) © UNESCO / Jake Lewis  
 
Vous avez récemment reçu un prix de l’UNESCO pour votre contribution exceptionnelle aux Nanosciences et aux Nanotechnologies, une distinction jusqu’ici accordée à très peu de scientifiques au niveau international. Comment vous sentez-vous pour cette distinction ?

UNESCO, organisation de l’ONU dédiée à l’Education et la Culture, promeut la Paix et le développement durable pour tous, l’élimination des discriminations et le dialogue entre les peuples et les cultures. Je me sens donc très honorée, heureuse et fière par l’attribution d’un prix provenant de cette organisation, tout en sentant à la fois que cela me met encore plus dans le devoir de contribuer de manière active aux objectifs ci-dessus. En même temps, je considère que ce prix ne revient pas uniquement à moi mais aussi à l’ensemble de mes collaborateurs tout au long de ma carrière scientifique au Centre de Recherche NCSR Demokritos, ainsi qu’à ma famille qui m’a toujours soutenue dans mon travail.

Quand est-ce que les nanotechnologies ont-elles commencé à se développer en tant que science et quelles en sont les principales applications ?

Les nanotechnologies ont commencé a se développer très rapidement à partir du début des années ’90, suite à l’accumulation des connaissances acquises dans le domaine de la Microélectronique. A ce moment là en effet, les recherches en microélectronique avaient permis de réduire de manière drastique les dimensions des circuits électroniques, qui devenaient de plus en plus complexes, plus rapides, moins consommateurs en énergie et moins coûteux à fabriquer. Cette évolution a conduit à des circuits intégrés dont les dimensions actives étaient désormais de l’ordre du nanomètre. A cette échelle là, nous avons cependant découvert que les matériaux de nanodimensions, comme les nanocristaux, les nanofils ou les films d’épaisseur nanométrique, ont des propriétés très différentes de celles des matériaux massifs tridimensionnels. Cela concerne leurs propriétés électriques et diélectriques, optiques (émission ou absorption de lumière, réflectivité), thermiques (conductivité thermique), leur compatibilité avec la matière vivante et beaucoup d’autres. Si nous comprenons ces propriétés, nous pouvons les mettre à profit pour imaginer de nouvelles  applications. C’est ainsi qu’un nouveau domaine de la science et de la technologie a émergé, les nanotechnologies, qui constitue une véritable rupture technologique et une science en soi, où toutes les propriétés des matériaux et les structures qui en découlent doivent être étudiées de nouveau. L’étude et la compréhension de ces propriétés et le développement d’applications nouvelles s’est étandue pour couvrir tous les domaines de l’activité humaine. Cette nouvelle science a été définie comme une science porteuse de nombreuses perspectives d’avenir.

La nanotechnologie est au cœur d’une nouvelle révolution industrielle, fondée sur des produits à grande valeur ajoutée. Les premières applications concernées sont les technologies de traitement et de stockage de l’information (microprocesseurs, mémoires électroniques), ainsi que la transmission des données, avec application directe aux ordinateurs et aux télécommunications.

Les nanotechnologies ont permis le développement de capteurs minuscules à haute performance, de biocapteurs, avec des applications en médecine, en biologie et dans les biotechnologies, la fabrication de matériaux composites de construction aux propriétés très améliorées, le développement de médicaments, l’amélioration de la nourriture, des applications dans les moyens de transport et dans de nombreux autres domaines. Le développement de toutes ces nouvelles applications nécessite une approche interdisciplinaire, qui demande l’implication de scientifiques de domaines très divers, physiciens, chimistes, ingénieurs, biologistes, médecins et beaucoup d’autres.

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Visite d’une école à l’institut de nanotechnologie, NCSR Démocrite, Athènes. Source 

Vous avez été, avec votre équipe, la première scientifique à développer des nanofils de silicium et des applications innovantes à partir de ces nanofils. Pouvez vous nous expliquer quelle est l’utilité de ces matériaux ?

En 1990, Leigh Canham, un scientifique anglais, a découvert que le silicium (Si) cristallin, quand il devient poreux avec une porosité de plus de 60%, peut émettre de la lumière intense dans le visible à température ambiante (par photoluminescence ou électroluminescence). Ceci n’est pas possible avec le Si cristallin massif. Le Si poreux se compose d’un squelette cristallin qui contient  des nanofils et des nanocristaux de Si interconnectés entre eux.

L’émission de lumière par le silicium poreux a provoqué un immense intérêt auprès des scientifiques, qui y entrevoyaient la possibilité de fabriquer des dispositifs opto-électroniques à base de silicium sur le même substrat que celui des circuits intégrés, ce qui présente de grands avantages. Pour pouvoir concevoir et fabriquer des applications opto-électroniques ou autres, il fallait tout d’abord comprendre le mécanisme de photoluminescence par le Si poreux.

Ce fut l’objet d’un premier projet de recherche européen avec de nombreux partenaires dont l’équipe britannique de Leigh Canham, des collaborateurs français de Grenoble, et mon propre groupe. La première hypothèse concernant le mécanisme d’émission de lumière par les nanostructures fut qu’elle  provenait de nanocristallites et de nanofils quantiques (de dimension inférieure à celle du rayon de Bohr) composant le Si poreux.

Dans ces nanostructures les porteurs de courant étaient confinés à cause de leur faible dimension. Mon groupe était chargé de fabriquer des structures modèles, c’est-à-dire des nanofils ordonnés de dimensions connues et des nanocristaux de Si dans une matrice diélectrique, afin de vérifier l’hypothèse ci-dessus. C’est ainsi que nous avons fabriqué les premiers nanofils verticaux sur le substrat Si en s’appuyant sur une méthode de fabrication que nous avons mise au point, ainsi que des nanocristaux de Si dans du SiO2.

Nous avons d’abord étudié leurs propriétés optiques, mais nous avons très rapidement constaté que ces nanostructures et le Si poreux avaient bien d’autres propriétés intéressantes, qui étaient différentes de celles du Si monocristallin.  Par exemple, leur surface importante par rapport à leur volume les rend appropriés pour fabriquer des capteurs chimiques et des biocapteurs. Nous avons utilisé leur très grande résistivité et leur faible constante diélectrique par rapport au Si cristallin pour fabriquer un substrat local sur le substrat Si, très approprié comme support pour des guides radiofréquence, des filtres et des minuscules antennes à haute performance. 

Une autre propriété très importante du Si poreux est sa faible conductivité thermique que nous avons utilisée pour fabriquer des capteurs thermiques et des générateurs thermoélectriques. Une autre propriété est la faible réflectivité des nanofils de Si que nous avons utilisée dans des cellules photovoltaïques. Aujourd’hui nous utilisons la structure à 3-dimensions des nanofils pour fabriquer des dispositifs de stockage d’énergie très performants, qui sont intéressants pour des applications dans des microsystèmes autonomes en combinaison avec des capteurs d’énergie environnementale.

Je citerai deux exemples caractéristiques d’applications que nous avons développées, tous les deux basés sur un capteur de flux thermique que nous avons mis au point : un système d’assistance à la respiration humaine, et un système de contrôle du flux d’air introduit dans les moteurs automobiles. Ce dernier a été mis au point et testé sur le moteur d’un camion.

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A votre avis, à quel point les entreprises grecques qui vendent des produits de nanotechnologie profitent des possibilités de financement par des projets Européens ?

Il existe en Grèce des entreprises innovantes qui développent des produits de nanotechnologie. Quelques unes ont été fondées comme “spin-off” des Centres de Recherche ou des Universités. Le Parc Technologique de mon Centre de Recherche NCSR Demokritos héberge par exemple un grand nombre d’entreprises de ce type. Ces entreprises sont en général très actives dans des projets Européens et utilisent ces fonts pour leur développement.

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Quelles sont jusqu’à maintenant les principales réalisations dans le domaine des nanotechnologies et que pouvons-nous attendre dans le futur ?

Nous pensons d’abord aux avancées extraordinaires dans les Technologies de l’information: ordinateurs, téléphones mobiles, dispositifs électroniques intelligents de toute sorte. A côté de ça, de nombreux autres produits basés sur les nanotechnologies se trouvent actuellement dans notre vie quotidienne. Je veux citer quelques exemples concrets dans le domaine de la santé s’appuyant sur le silicium poreux, nano-matériau dont j’ai parlé plus haut.  Ce matériau, à cause de sa très grande surface par rapport à son volume, qui provient de sa morphologie poreuse, possède des propriétés qui dépendent beaucoup de son état de surface. En changeant son état de surface, on peut faciliter par exemple l’accroche de certaines biomolécules et fabriquer ainsi des bio-capteurs ou fabriquer des substrats pour la culture des cellules vivantes.  

Nous pouvons aussi utiliser des particules de silicium poreux comme porteuses de médicaments qui peuvent s’introduire dans l’organisme et avoir une activité très locale et très ciblée. Ce matériau est biocompatible et biodégradable, ce qui permet de l’utiliser pour une introduction très lente du médicament dans l’organisme. On utilise cette propriété pour le traitement de certains cancers. Il a aussi été utilisé comme matériau d’initiation de la régénération des os, pour des interventions oculaires etc.

Les nanotechnologies trouvent tous les jours des applications nouvelles et nous permettent de rendre nos produits et nos systèmes plus « intelligents »  et plus efficaces. Ces applications concernent la santé, l’environnement, le transport, toutes sortes de moteurs, l’alimentation, les matériaux de construction et de nombreux autres domaines.

 * Interview accordée à Marianna Varvarigou | Greek News Agenda

 
M.V.