L’exposition « Souvenirs de Salonique, histoires françaises d’hier à aujourd’hui » organisée par le consulat général de France à Thessalonique, ambitionne de dévoiler ou de faire redécouvrir les liens étroits tissés entre la France et la ville depuis 400 ans.
 
L’exposition comporte six parties thématiques qui offrent un regard historique sur la société, la communauté juive, la vie économique, l’architecture et l’éducation francophone de la ville. Ce grand évènement qui met en évidence des épisodes marquants et parfois méconnus dans l’histoire de la ville, se tient du 15 mars au 25 avril à l’Institut français de Thessalonique et sera ensuite présenté au Salon international du livre du 9 au 12 mai 2019.
 
Philippe Ray, le Consul général de France et Directeur de l’Institut français de Thessalonique a répondu aux questions de GrèceHebdo* et a dévoilé les raisons pour lesquelles cette exposition est à voir.

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Commission d’études du nouveau plan de Thessalonique (après l’incedie de 1917) dirigée par l’architecte Ernest Hébrard (1875-1933). [Photo de l’expo. Source: IFT/VIDEO et IFT/CTH]
 
Quelles sont les principales thématiques de l’expo « Souvenirs de Salonique » et comment seront-elles présentées ?
 
Pourquoi cette exposition ? Parce que Thessalonique est une ville exceptionnelle, riche d’identités multiples acquises au cours de son histoire. Son identité française n’est pas la plus évidente et souvent méconnue. C’est la raison pour laquelle nous souhaitions montrer que les Français, la France et la francophonie occupent une place de premier choix tout au long de l’histoire mouvementée de la ville. C’est l’objet de cette exposition et d’une série de conférences. L’exposition se tient du 15 mars au 25 avril à l’Institut français et sera ensuite présentée au Salon international du livre du 9 au 12 mai 2019.
 
En effet qui se souvient encore que la France a choisi d’établir à Salonique, dès 1686, l’un de ses premiers consulats ? Que la Mission laïque a retenu Salonique en 1906 pour ouvrir son premier établissement scolaire (« le Lycée ») à l’étranger ? Que l’enseignement du français a dominé le secteur éducatif dans la ville pendant près d’un siècle ? Que nombre d’infrastructures modernes dans la région ont été pour la première fois installées par les troupes françaises de l’Armée d’Orient, pendant la Première Guerre mondiale ? Que de nombreuses familles de la communauté juive de Thessalonique, parce qu’elles étaient francophones, ont choisi la France comme terre d’émigration au début du XXe siècle ? Et qui sait que certains lieux emblématiques de la ville, comme la Place Aristote, le Port et aujourd’hui la Nea Paralia, portent la signature d’architectes français ?
 
Depuis près de deux ans, nous avons donc puisé dans les travaux des chercheurs, des membres de notre comité scientifique, dans les trésors des collectionneurs, dans les archives des musées français et grecs pour bâtir le scénario et le contenu de cette exposition, qui comporte six parties thématiques :
Les débuts de la communauté et du consulat ; la présence française dans la vie économique avec l’exemple du Port, construit par un Français sur la modèle des plans du port de Marseille ; l’enseignement en français dans la ville, qui prédominait pendant près d’un siècle ; la communauté juive et sa francophonie ; le front d’Orient et les architectes français ; enfin le Lycée français de la Mission laïque.
 
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Pourriez –vous élaborer un peu plus sur les origines de la présence française à Salonique ? Pourquoi la Grèce du nord relevait-elle un intérêt particulier pour les Français ?
 
Salonique est à l’époque la deuxième ville de l’Empire ottoman, en pleine croissance. C’est une ville stratégique et un centre commercial attractif. Le premier consul nommé en 1686, Jacques Glèze est un négociant marseillais, et il est placé sous la double tutelle du ministère des affaires étrangères et de la chambre de commerce de Marseille. Tout est dit ! Les intérêts de l’époque sont avant tout commerciaux.
 
Puis à partir de la moitié du XIXe siècle vinrent des bâtisseurs, architectes, industriels, artistes, professeurs, de grandes figures françaises qui ont apporté leur pierre au développement et aux transformations de la ville et de la région. Ils sont le socle de cette relation singulière entre la France et la ville.
Deuxième élément : la francophonie de la ville. Grâce aux écoles catholiques déjà présentes depuis le milieu du XIXe siècle, de l’Alliance israélite universelle à partir de 1860, puis de la mission laïque qui choisit Thessalonique pour ouvrir son premier établissement en 1906, la langue française devient très importante dans la ville. Cette francophonie crée une attraction réciproque entre la France et les Saloniciens, dont l’élite a le regard tourné vers Paris.
 
Aujourd’hui, la présence française prend d’autres formes : coopérations universitaires, échanges culturels et artistiques, et toujours des investissements (la modernisation du port de Thessalonique) et des échanges commerciaux. Le consulat général, l’Institut français et l’école français demeurent les représentations de la France et sont depuis 2012 localisés dans un même lieu pour former ensemble la « Maison de France à Thessalonique ».
 
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La communauté juive de Salonique constitue l’une des axes de l’expo. L’école de l’Alliance israélite universelle à Salonique devient, au XIXe siècle, un des centres de la promotion de la culture française dans la ville. Pourquoi la langue française est-elle attirante à l’époque ?
 
L’éducation « française » dispensée dans les nombreuses écoles de l’Alliance israélite universelle de la ville est l’élément fondateur de cette relation. C’est un Français, Adolphe Crémieux qui crée l’Alliance Israélite Universelle (1860) pour l’émancipation des Juifs ottomans.
 
La langue française est à cette époque la lingua franca de toute l’Europe et surtout dans les domaines du commerce et de la diplomatie. Les français étaient les premiers à créer dans l’empire ottoman une représentation diplomatique qui a mis sous sa protection les Juifs italiens comme les Allatini, Morpurgo, Fernandez, Modiano etc., appelés à l’époque « Francos ». Les « Francos » de Salonique, et surtout les Allatini, furent les premiers à établir des écoles françaises dans la ville, à partir de 1873 pour les garçons mais aussi pour les filles, ce qui constitua une révolution pour le statut de la femme juive ottomane, qui jusque-là n’était pas scolarisée.
 
J’ajoute que la langue française est une langue latine, très proche du judéo-espagnol qui est la langue maternelle des Séfarades de l’empire, c’est-à-dire que le français est pour eux plus facile à apprendre et à comprendre que d’autres langues étrangères.
Cela explique que les familles juives ont choisi la France comme terre d’exil au début du XXe siècle. Leurs descendants sont toujours très attachés à la ville de leurs racines. C’est aussi l’un des sujets traités dans notre exposition.
 
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Est-ce que celle-ci est particulièrement présente parmi certaines couches sociales, au sein de la communauté juive ?
 
Il est vrai que les premières écoles créées par l’Alliance Israélite Universelle ne suffisaient pas pour la population juive de Salonique (qui constituait le 50% des Saloniciens entre 1492 et 1923). Et c’est la raison pour laquelle furent créées plusieurs écoles privées qui ont adopté le système éducatif français, qui n’étaient toutefois accessibles qu’aux couches sociales aisées. Il faut quand même souligner que la culture française a influencé toute la société juive salonicienne de l’époque à travers des traductions de grandes œuvres françaises du théâtre et de la littérature, présentées ou publiées en judéo-espagnol.
Mais au-delà de la communauté juive et ses liens étroits avec la France, l’objet de cette exposition est de dévoiler tous les aspects de la présence française à Thessalonique, depuis 400 ans.
 
Je souhaite que cette exposition apporte aux visiteurs les réponses à ces questions, parmi d’autres, et contribuent à faire la lumière sur la profondeur des relations entre la France et Thessalonique. ” 
 
* Entretien accordé à Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr
 
INFOS PRATIQUES
Du 15 mars au 25 avril à l’Institut français de Thessalonique et au Salon international du livre (Thessalonique) du 9 au 12 mai 2019
 
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