Ces jours-ci je ne pense qu’aux défunts.
Riche de mort ma mémoire
les amène devant moi vivants.
Ils parlent un peu parfois :
— «une chemise couleur abricot».
«Je veux t’embrasser, car je suis mort».
«Je suis venu pour vous voir».
Tant de visages, de paroles, que je conserve
comme étrangers, que je veux faire miens
mais en vain : je ne conçois pas
la mort, je refuse
de la comprendre.
 
Mais la vie non plus
je ne peux ainsi la toucher, telle que je veux
la conserver, moi qui vois les gestes
des vivants comme s’ils étaient dans ma mémoire
eux aussi, sans pouvoir les toucher
vivants. Souvent ils me réjouissent,
je les aime, les regarde en extase,
et soudain on dirait ceux des morts.
 
 
Zoe Karelli (1901-1998), recueil “La saison de la mort” (1948)
Traduction: Michel Vokovitch, Source
Peinture: Nikos Kessanlis, “Ombres”, 1989. Source: nikias.gr
 
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