Yannis Kiourtsakis est né à Athènes en 1941. Il a effectué des études de droit à Paris. Romancier, essayiste et traducteur, il a publié des études sur Georges Seferis, Karangiozis et la tradition orale de Grèce. Ses romans  Dicôlon et Double exil sont traduits en français (Verdier). Le Dicôlon, paru en 1995, a obtenu le Prix du meilleur roman. Dernier livre paru en français,  La Grèce toujours et aujourd’hui (La Bibliothèque, 2016). Yannis Kiourtsakis a été récemment primé par l’Académie Française et le ministère français de la Culture pour sa contribution apportée au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde.
Yannis Kiourtsakis a accordé un entretien à GrèceHebdo* sur l’art de l’ écriture et sur l’identité grecque au sein de l’Europe d’aujourd’hui.
 
Commençons par une question classique: pourquoi vous écrivez ? 

Toujours parce que j’en ressens la nécessité! Mais l’objet de celle-ci a changé au cours du temps. Dans mon adolescence solitaire, j’écrivais pour donner une expression à cet indicible que je sentais palpiter en moi. Depuis la publication tardive de mes écrits, cette nécessité est tournée vers l’autre : le lecteur, avec lequel je cherche à dialoguer afin que nous puissions fonder ensemble un sens commun.

Α votre avis, comment peut-on être grec aujourd’hui ?

D’abord en s’efforçant de se connaître soi-même. Cela suppose, dans le contexte de la mondialisation actuelle, de découvrir les fondements collectifs de notre individualité singulière, c’est-à-dire dans le cas de la Grèce, la pérennité de notre culture et de notre langue qui constituent notre manière d’être dans le monde. Puis, en s’ouvrant sans préjugés aux autres peuples pour les connaître, se regarder dans leur miroir, apprendre auprès d’eux et tenter de leur offrir ce qu’il y a de meilleur en nous. Sans cette immersion dans l’altérité nous n’aurons pas une conscience assez solide de notre identité.

Spyros Vasileiou vue dathenes sans titre 1977
Peinture de Spyros Vasileiou, Athènes (sans titre), 1977

Vous avez écrit: “Ce que je redoute le plus, c’ est la division du pays”. Est-ce que cette crainte reste d’ actualité ou vous considérez que l’ esprit de la guerre civile appartient au XXème siècle ?

C’est en effet ce que je redoutais pendant le terrible été de 2015. Heureusement je me suis trompé. Le pays a tenu bon grâce à cette résilience face aux coups de l’existence que lui a inculquée sa culture ancestrale, qui refait surface à chaque épreuve. C’est à elle, me semble-t-il, que notre société doit sa survie, comme je l’ai écrit récemment dans une tribune publiée par Le Monde. Cela ne veut pas dire que l’esprit de la guerre civile, qui envenime la vie grecque depuis l’Antiquité, appartient définitivement au passé.

Vous connaissez la jeunesse grecque d’ aujourd’ hui? Qu’ est-ce que vous en pensez ?

J’ai plusieurs amis dans la génération qui vient après la mienne. Quant aux plus jeunes, je les rencontre souvent dans les universités et les écoles où je suis invité. C’est une jeunesse très vivante, quoique souvent contradictoire, à l‘image de notre temps. Mais ce qui me frappe le plus c’est le grand nombre d’intelligences et de talents exceptionnels que je rencontre en son sein.

Quelle est votre plus grande inquiétude et votre plus grand espoir pour le pays ?

Ma plus grande inquiétude : la perte de sa substance en raison d’une démographie déclinante, d’une instabilité économique et sociale permanente, d’une politique toujours inadaptée à ses véritables besoins et de la saignée que représente l’émigration massive de sa jeunesse.

Mon plus grand espoir : une renaissance spirituelle et morale, fondée sur la synthèse féconde de la tradition et de la modernité, qui conduirait à un redressement global du pays dans une Europe plus solidaire (car elle aussi a besoin aujourd’hui d’une nouvelle Renaissance).

* Entretien accordé à Costas Mavroidis.

M.V.

kiourtsakis collage

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