Dimitris Christopoulos est professeur agrégé de théorie juridique et théorie d’état à l’Université Panteion d’Athènes et président de la Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) depuis août 2016. De 2003 à 2011, Christopoulos a été président de la Ligue hellénique pour les droits de l’Homme et vice-président de la FIDHde 2011 à 2013. La FIDH est une ONG internationale des droits de l’homme, fondée en 1922 et réunissant 184 organisations venus de 112 pays dans le but de défendre tous les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Dimitris Christopoulos a parlé à Rethinking Greece* de l’émergence d’un style de gouvernance “post-fasciste” dans de nombreux pays du monde, de l’importance d’une reforme totale des structures politiques de l’UE et de l’effet négatif de la crise économique et des réfugiés sur les droits politiques et les droits de l’Homme en Grèce et en Europe. L’interview a paru au site Greek News Agenda. Une partie de cette interview a été traduite par la suite par GrèceHebdo**.

En tant que président de la FIDH, vous avez un aperçu global de l’état des droits de l’homme. Quels considéreraient-vous les problèmes les plus importants auxquels le monde est confronté aujourd’hui ?
 
Question courante sans pour autant pour ce qui me concerne être en mesure de répondre facilement. De nos jours, outre le retour de l’autoritarisme à l’ancienne, qui rend la vie des citoyens et des défenseurs des droits de l’homme insupportable, nous assistons à l’émergence d’un «nouveau» style de gouvernance que je pourrais appeler post-fasciste: il ne s’ agit pas du fascism traditionnel mais il partage pourtant la même  valeur fondamentale de l’idéologie de l’extrême droite, c’est-à-dire le mépris profond pour la dignité humaine en tant que principe universel. C’est un pilier qui unit des régimes politiques complètement différents ou même opposés.
 
Vous croyez donc que c’est une tendance universelle plutôt que localisée ? Vous estimez donc qu’il s’agit plutôt d’une tendance universelle que localement réperée ?
 
J’affirme que si nous abordons cette vague comme un phénomène uniquement lié au sous-développement et au retard économique, comme c’est souvent le cas dans des approches imprégnées de stéréotypes orientalistes, la situation pourrait facilement s’aggraver. Sur le plan historique, l’une des « recettes » à l’ origine du succès d’idéologies similaires est la certitude que « cela ne peut pas se produire ici ». Et quand cela arrive, il est déjà trop tard, c’est un fait accompli et il nous faut un travail accentué pour faire face aux dégâts. Voyez ce qui se passe en Turquie: il s’agit plutôt d’événements intenses qui s’inscrivent dans la longue durée et qui reflètent la nature du régime et non pas des changements conjoncturels.
Point of Arrival by Ricky Romain 2002
“Point d’arrivée”,  Ricky Romain, 2002.
 
Pourtant on pourrait affirmer que la Turquie n’a  jamais été une démocratie bien construite selon les critères occidentaux…
 
En effet, mais qu’est-ce qu’on pourrait constater pour ce qui est du cas de l’Autriche, où le candidat d’extrême droite a pu obtenir 49% des suffrages? Qu’est qu’on pourrait  dire des Etats-Unis de Donald Trump USA et de la Russie de Vladimir Putin ? Qu’en est-il de la Pologne? Bien evidement, nous sommes tous soulagés avec le résultat des élections néerlandaises et françaises, mais si on retient le message : « Il n’y a pas de soucis, tout va bien », je crains que notre complaisance ne serait pas loin de la bêtise. J’aimerais être plus optimiste, mais ce que je vois, c’est d’une part, la panique – après Brexit par exemple – et, d’autre part, l’enthousiasme naïf, comme après la défaite de Le Pen en France. Si on tient vraiment aller de l’avant, on doit se diriger vers de meilleurs conseillers que la panique et l’enthousiasme. Ce dont on a vraiment besoin c’est de comprendre ce qui ferait les gens se tourner vers des solutions post-fascistes. Par exemple, on a vraiment besoin d’une reconfiguration totale des structures politiques dans l’UE et non seulement d’une « réforme». Le terme «réforme» a été tellement cannibalisé qu’il est vraiment préférable de l’oublier aujourd’hui.
 
free speech graffiti
 
Parlons maintenant de la Grèce, qui subit actuellement toute une série de réformes sévères. La crise économique en Grèce a-t-elle eu un impact négatif sur les droits de l’homme ?
 
Le fait que la «crise» a contribué à la dégradation des normes en matière de droits de l’homme en Grèce n’est pas une nouveauté. La FIDH a déjà documenté cela dans un rapport établi conjointement avec la Ligue grecque des droits de l’Homme en 2014. Si je peux résumer, je dirais qu’on ne peut pas espérer réduire les droits sociaux sans toucher les droits politiques et, enfin, violer les droits individuels. C’est ce qui s’est passé actuellement en Grèce. A titre indicatif, les coupures budgétaires dans les domaines de l’éducation et de la santé conduisent à minimiser le rôle du Parlement dans la prise de décision: les lois qui passent avec des décrets présidentiels et des procédures d’urgence ont banalisé le rôle du législatif en faveur de l’exécutif ainsi que des institutions contrôlées par les créanciers de la Grèce.
 
Αu bout d’ une première année à la poste du président de la FIDH, considérez-vous, que les droits de l’homme sont en recul dans le monde ? Que considérez-vous comme la plus grande menace contre le respect des droits de l’homme aujourd’hui ?
 
Il y avait autrefois un récit selon lequel les choses allaient toujours de mieux en mieux. Selon ce récit, le monde progresserait toujours dans la bonne direction. C’est comme un scénario classique de Hollywood: un peu de suspense, mais à la fin, c’est le bon gars qui gagne. Telle est l’essence même du déterminisme libéral et communiste. Toutefois,  l’histoire n’est rien comme un film de fin heureuse. L’histoire est par définition pleine de questions ouvertes qui pourraient se transformer en cauchemars. Surtout dans les périodes fluides de transition comme celles que nous traversons aujourd’hui. Certains affirment que nous pouvons tirer des leçons de l’histoire. Pourtant je crains que ce ne soit pas si simple. Si nous pouvions apprendre de l’histoire, nous l’aurions déjà fait, mais on le voit bien que ce n’est pas le cas. Je dirais par conséquent que la plus grande menace contre les droits de l’homme aujourd’hui est l’idée même que les droits n’ont plus d’importance, que ce qui compte, c’est une gouvernance efficace qui assure la sécurité. C’est cette idée qui unit Trump avec Poutine, pour donner un seul exemple. Cette perception considère les droits de l’Homme comme un luxe irrationnel. Dans ce cadre, les défenseurs des droits de l’Homme sont souvent traités comme des ennemis internes ou, au mieux, comme des Don Quixotes. La plus grande menace et le plus grand défi pour le mouvement mondial pour la défense des droits de l’Homme est ce cynisme déguisé en «réalisme». Lutter pour les droits de l’Homme, comme on dit dans la FIDH, signifie déconstruire ce récit. Nous ne sommes ni Don Quixotes ni victimes. Les défenseurs des droits de l’Homme sont les protagonistes de l’histoire.
 
*L’entretien en anglais, accordé à Ioulia Livaditi, est disponible ici : Rethinking Greece| Greek News Agenda: Dimitris Christopoulos on human rights as a political struggle for emancipation and peace (19 septembre 2017)
 
**Traduction de l’anglais : Magdalini Varoucha
 
tassos
“Le peuple” (Ο Λαός), gravure de Tassos.
 
M.V.
 

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