Une exposition temporaire intitulée “Salonique, Jérusalem des Balkans 1870-1920” a lieu au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris, du 19/9/2023 au 21/4/2024, à l’occasion de la donation au musée de près de 400 photographies et documents par Pierre de Gigord, grand collectionneur dévoué à l’histoire de l’Empire ottoman. L’exposition présente une sélection de 150 œuvres rares – daguerréotypes, photographies stéréoscopiques, plaques de verre, tirages argentiques, autochromes- ainsi que des brochures, des cartes postales et des archives de l’Armée d’Orient restituant l’histoire de Salonique de la seconde moitié du XIXe siècle à la fin de la Première Guerre mondiale.

L’exposition en fait raconte l’histoire et la transformation de Thessalonique en un centre occidental moderne, tout en mettant en lumière l’influence des Juifs dans ce processus. À travers les yeux de photographes tels que Paul Zeppzi, né en Arménie et premier à ouvrir un studio photo à Thessalonique au milieu des années 1870, nous découvrons la vie quotidienne de ceux qui gagnent leur vie, tels que les expéditeurs du port ou les vendeurs de rue alors que la diversité ethnique et religieuse de l’époque se dévoilent. À travers les plaques de verre d’Ali Enis, drogman (interprète) au consulat d’Allemagne, nous reconnaissons des points de repère tels que la Tour blanche, la plage, l’ancienne place de l’Olympe. Nous découvrons l’Alhambra, l’un des plus anciens magasins de la ville, et le Grand Hôtel, dans les couloirs duquel Rosa Eskenazi, la célèbre chanteuse grecque de rébétiko, a fait ses premières apparitions.

À gauche : Paul Zepdji, Portefaix (Hammals) juifs | À droite : Ali Eniss, Autoportrait dans un studio, Vers 1900 – Source: mahJ

Ville cosmopolite, comme d’autres grands ports du Levant, Salonique – la Thessalonique grecque sous l’Empire ottoman- a connu au XIXe siècle une incroyable métamorphose. Cœur « industriel » de l’Empire, foyer de la modernité turque, jusqu’à la reconquête par les Grecs en 1912, la cité est une ville pluriethnique et multiconfessionnelle, un carrefour culturel et un havre aussi où se sont réfugiés, depuis des siècles, les sépharades bannis d’Espagne et les ashkénazes chassés d’Europe. A noter qu’à Thessalonique on trouvait des Gréco- juifs (appelés des Romaniotes) installés dans la région depuis l’antiquité qui parlaient le grec et le Gréco-juif, une langue grecque avec des prêts de l’hébreu pour pratiquer la religion. En outre, contrairement à d’autres villes de l’Empire ottoman où les Juifs se plaignaient d’insultes à leur égard, à Thessalonique la communauté juive coexistait harmonieusement avec les autres groupes ethniques, pénétrant dans tous les aspects de la vie commerciale et économique.

 Ali Eniss, Les quais de la gare de Salonique – Source : mahJ

En sélectionnant des images dans la plus riche collection privée de photographies de Pierre de Gigord, la commissaire de l’exposition Catherine Pinguet restitue le quotidien des habitants et les mutations de la ville, de leur cadre de vie : animation des rues, activités commerciales et corporations de métiers, nouveaux édifices, quartiers résidentiels, périphérie déshéritée où sont apparues les premières industries hissant Salonique au rang de première ville ouvrière de l’Empire ottoman. À côté de la classe ouvrière, nous avons également une image de la classe moyenne émergente : nous voyons des portraits de marchands, d’importateurs, avec un capital limité mais une présence active dans la vie économique de Thessalonique et, bien sûr, des représentants de la classe supérieure, tels que l’industriel Moïse Allatini. Des événements majeurs, tels que la « révolution » jeune-turque de juillet 1908 dont Salonique a été le berceau, ou l’incendie d’août 1917, qui a détruit à jamais les quartiers historiques de la communauté juive ont également été capturés dans l’objectif.

Ali Eniss, Arc de triomphe du Cercle des Intimes lors du premier anniversaire de la révolution jeune-turque, Juillet 1909 – Source: mahJ

Le grand collectionneur Pierre de Gigord

Diplômé de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs, grand voyageur passionné d’Orient, Pierre de Gigord rassemble à partir des années 1980 la plus riche collection privée de photographies anciennes sur l’Empire ottoman. Des premiers procédés photographiques (daguerréotypes de Girault de Prangey, Constantinople, 1843) aux années 1920 (autochromes, vues stéréoscopiques, tirages argentiques…), on y trouve toutes les techniques et supports utilisés par les photographes professionnels et amateurs de l’époque. Des ouvrages (premiers guides touristiques, récits de voyageurs, de diplomates, d’archéologues), des journaux illustrés, des magazines, des cartes et des éphémères (brochures, factures, publicités…) viennent compléter cet ensemble. Le don au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris des plus belles pièces du fonds exceptionnel qu’il a constitué sur Salonique constitue un enrichissement majeur de la collection du musée.

Ali Eniss, Enfants en promenade le long des murailles – Source: mahJ

Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Installé dans le cadre prestigieux de l’hôtel de Saint-Aignan, au cœur du Marais à Paris, le mahJ retrace l’histoire des juifs de France, d’Europe et de Méditerranée à travers la diversité de leurs formes d’expression artistique, de leur patrimoine et de leurs traditions, de l’Antiquité à nos jours. Il propose à un large public de découvrir l’ancrage très ancien des juifs dans la nation, et l’universalité de leurs productions artistiques et culturelles, le mahJ illustre deux mille ans de « cultures en partage ».

Le mahJ au cœur du Marais à Paris – Source : mahJ

**À l’occasion de l’exposition CNRS Editions publie « Salonique, 1870-1920 », de Catherine Pinguet chercheuse associée au Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CNRS – EHESS) et commissaire, avec Nicolas Feuillie, de l’exposition. Dans la publication qui accompagne l’exposition il est noté que Vilnius, la “Jérusalem du Nord” est souvent mentionnée, mais que Thessalonique est oubliée. L’exposition tente de remédier à cette omission et de compléter les pièces du puzzle**

* Photo d’introduction : Ali Eniss, Débarcadère face à la place de l’Olympe – Source : mahJ

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